Quelle connasse, cette Simone. Elle va arrêter de te faire chier pour que t'ai une écriture cursive à la perfection, ou comment ça se passe ?
En ce moment, tu sens à quel point tout ça t'indiffère. Tant de prise de tête, et pourquoi ? Pour avoir des notes de cours qui ressemblent à du Times New Roman ?

Le talon de ton aquazurra fait craquer la branche du rosier qui rampait un peu trop près de toi. Les claquements sur les dalles retentissent sur l'allée qui longe le flanc de ton manoir. Tu fixes tes pupilles délavées dans le vide, à calmer les battements de ton coeur, tes épaules. A lâcher, comme te l'a appris ton maître.

Useless. C'est ce que tu lui as dit. A quoi bon s'entêter à perdre ce précieux temps que tu pourrais passer à avancer sur ton programme. Mais bien sûr, elle n'entend rien.  Avant, tu te serais pliée. Pour finalement indiquer à ta mère que Mme Simon Delagarde devrait être licenciée par manque de professionnalisme. Mais là. Là tu t'es juste levée. Tu as calmement poussé les paquets de feuilles du dos de ta main, pour qu'ils aillent s'éparpiller sur le sol.

-Si vous tenez à me faire perdre mon temps, Simone, je préfères autant apprendre par moi-même.

Avant de quitter la pièce sans ajouter un mot.

Tu a conscience que cette psychorigide ira tout rapporter. Et que comme d'habitude, tu auras tort. Après tout, l'on doit soigner les apparences jusqu'à la virgule de chacune de tes phrases écrites.

Qu'elle le fasse. Tu t'en fous. Ça ne te fait plus rien. Ça te semble tellement lointain, tout ça. Tu te prépares à une guerre, une guerre où tu vas jouer un rôle, peut-être le plus important de ta vie. Alors qu'est-ce qu'on s'en fout, de la manière dont tu écris. Et qu'est-ce qu'on s'en fout, des poètes du 17eme siècle.

La brise balaye tes cheveux lisses, alors que tu quitte les dalles pour le duvet d'herbe de ton jardin. Ta mise en plis est basique, aujourd'hui. Logique, pour une journée où tu n'as rien d'autre à faire que de te farcir la salle tronche de Simone Delagarde et prendre tes cours de théâtre, pianos et chants. (Et si tu les annulais, tiens ?) Ton maquillage est moins habillé que d'habitude, ne cache même pas les trois grains de beautés de ton visage. Deux en dessous de ton oeil gauche, un au coin droite de tes lèvres. Ta courte robe est simple. Simple pour l'héritière d'une multinationale, certe, la finesse des plis, du tissus, de la dentelle en témoignent. Mais simple quand même. Tes chaines, colliers, bracelets et boucles d'oreilles en argent massif et pierres incrustées ne mentent pas non plus sur la taille de ton compte en banque.

Ouep, tu comptes marcher un peu pour te calmer. Te sens déjà calme, en réalité. Parce que tout ça, c'est lointain. En fait, cette journée est même un hameau de paix dans le tumulte qu'a été ta vie durant ces derniers mois. Tu le vois comme le calme avant la tempête. Et bizarrement, tu arrives même à en profiter.

Passer dans ton massif jardin de fleur te fait envie, tient. C'est pas souvent que tu y met les pieds. Mais là, juste avant de te remettre à étudier la prose de types décédés depuis plus de 400 ans, ça te tente bien. Pas facile d'apprendre le programme d'au moins deux nations pour le prix d'une. Ceci dit, tu comptes sur le parfum des acacias de Bill pour te motiver.

Peut-être que tu n'as pas été assez cool avec ce type, d'ailleurs.

Seulement un truc t'empêche d'aller jusqu'au Acacia de Bill. Une silhouette encadrée par ta fenêtre. Tu t'immobilises dans ton mouvement, les yeux tournés légèrement agrandis par l'étrangeté de cette vision.

Le temps est suspendu. Seul le vent qui s'engouffre dans tes mèches de jais et les pants de ta robe rappelle à la réalité de la scène.

…
Putain, tu te fais toujours pas à sa tête sans son bonnet ridicule.

-Rihan.

La bribe d'expression quitte ton visage. Étrangement, tu n'es même pas surprise qu'il soit ici. Ton visage est neutre.
Non… presque désabusé, en fait. Comme un prof qui sait que son élève a fait une énième connerie mais n'a même plus la force de l'engueuler.

-Tu sais que la peine pour effraction de domicile est de 2 millions de Yen et cinq ans de prison ferme ?

Joke ou no joke ? Who knows…

Petit haussement de sourcil. Est-ce que c’est un sourire là, dans le coin, Eden ?! Tu secoues la tête, la tournant vers le rien.

-For fuck sake, Henry, souffles-tu avec une légère irritation.

A quel moment s’était-il dit que ça serait une bonne idée ? De prendre un étudiant de son propre lycée. Tu connais par cœur ce vieux con, tu sais très bien qu’il a tout passé au peigne fin. Alors quoi, Henryn on embauche même la mauvaise graine ? Ça te ressembles pas.  Quoique, si Rihan n’a pas de casier judiciaire, ça peut passer. Est-ce qu’il a un casier judiciaire au moins ?
…
Tu te poses vraiment la question. Est-ce que c’est vraiment un délinquant en fait ? Parce que bon, en dehors des types avec lesquels il s’était déjà battu, ses clopes et son air de petit con, t’avais pas vraiment de preuves, au final.

T’as un petit souffle, qui s'apparente à un rire. Bah. Let it be, comme dirait Mccartney. Tes yeux reviennent sur lui. Y a un mur entre lui et toi, mais ironiquement, c’est lui qui est dans la maison de bourges. Tu t’approches du rebord de la fenêtre et t’y appuie sur les avant-bras avec nonchalance. Ton regard se perd dans le carrelage du salon, alors que des bribes du festival te reviennent en tête.

-C’est bizarre de revenir à la routine après ce qu’il s’est passé, tu réponds.

Tes yeux remontent vers lui.

-Et toi ?

Putain, comme il a raison. De rêves en rêves, c'est exactement ça. Et inconsciemment, sans que tu ne le veuilles, t'as des souvenirs qui te reviennent, certains plus pénibles que d'autres. Ton entrainement avec Sora, le festival, ton entrevue avec Zuran, sa disparition, celle de Shin, la soirée au bar à cocktails... Tu te sens à des années lumières de celle que t'étais avant.

Tu soutiens son regard, comme pour comprendre le un peu mieux. Lui aussi, il a l'air différent. Plus... Plus quoi...
Fatigué ?
...
Déprimé, peut-être.
...
ça fait bizarre de le voir comme ça. Il a l'air presque vulnérable.
Je crois même qu'au fond, ça te peine, non ? Malgré ton haussement de sourcil et ta tête penchée en mode "Come on" quand il te fait sa blague à deux balle.
Tu plisses un peu les yeux aussi. T'as peur de bien comprendre.

-Quand tu disais que tu ne savais plus où tu en était ? demandes-tu avec ironie.

*Badum*

Badum ?!
Wtf.
C’est son sourire sincère qui te fait cet effet, Eden ?

T’es un peu étonnée, mais en dehors de ton sourcil haussé, tu continues de le regarder, égale. Parce que ce qu’il a à dire est important. Parce que ça confirmera tes souvenirs un peu flous de la soirée. Parce que ça mettra enfin les choses au clair une bonne fois pour toute.

S’il a les couilles de le dire.

…

… Putain.

Il a eu les couilles de le dire.

…

Dammit.
Tu te sens limite con, par delà la vague de bonheur stupide que ça te procure. Tu sentais depuis le début cette petite tension entre lui et toi, sans trop savoir ce que c’était. Si c’était de la rivalité, du mépris, un crush ou juste une dynamique qui marchait bien. La toi d’il y a quelques semaines voulait que ce ne soit qu’une ambiance pesante instaurée par un délinquant un peu trop insistant. Mais même avec ça, tu sentais cet espèce de magnétisme ambigu qui te donnait envie de faire un peu plus partie de sa vie.

Que vous soyez spéciaux l’un pour l’autre.

Sauf que vous êtes cons pareil, tous les deux, et même en ayant aucune putain d’idées de ce qui se passait derrière son crâne de tombeur inssuportable, tu savais au moins une chose : que tout comme toi il avait beaucoup trop de fierté pour se montrer vulnérable.
C’était le jeu. Qui serait vulnérable le premier.

Et maintenant tu te sens débile. Parce qu’il a perdu à aucun jeu, il a juste eu des couilles. Celles que t’as eu qu’avec un putain de cocktail à la con. Il a absolument pas l’air d’un playboy putain. Il imagine même pas l’admiration stupide qu’il t’évoque, et d’à quel point ça te fait chier.
Mais bref. On s’en fout. C’est pas à propos de toi, là.

-Tu me l’aurais pas redis en étant sobre, j’aurais complètement ignoré ce que tu m’as dit ce soir-là.

Prenant calmement une grande inspiration, avec un hochement de tête, tu te redresses, et longe le mur, ta main sur le rebord. Puis tu te tournes, te plaçant de nouveau sur tes avants bras, le regard perçant.
Juste en face de lui.

-Rihan.

Presque autoritairement.

-T’es bien plus qu’un playboy suffisant pour moi.

Tu le fixes avec ton regard déterminé.

-T’es important pour moi et je veux être là pour toi aussi.

T’as une tension qui naît dans tes épaules alors qu’il s’approche. Tu sais ce qu’il va faire. T’es ok avec ça. Mais ça ne t’empêche pas d’avoir tes putains de réflexes. Tu te laisses faire ceci dit, jusqu’à ce que tu te retrouves à moitié contre lui, à un rebord de fenêtre d’y être complètement. Et tu te surprends à le serrer aussi. A humer son odeur, un mélange de clope et d’autre chose qui n’est propre qu’à Rihan.
Toi aussi, ça te fait du bien. T’es à deux doigts de passer ce mur de merde. Mais bon, il s’éloigne, ça sera pour une autre fois.

T’as un petit sourire en coin à sa remarque. Il a ce truc de toujours détourner la conversation après avoir livré quelque chose de deep sur lui-même.

-Fuck la robe, j’en ai d'autres.

Comme ça fait du bien de pas se rendre la tête sur quoi dire et quoi faire. Tu peux remercier ton maître, car tu n’as jamais été aussi libre. Et Rihan aussi. Il te pousse à ne plus te prendre la tête.

Cependant, la petite poussée d’inquiétude qui te tiraille depuis quelques minutes n’est pas partie. Au final, tes soupçons se confirment. Il est vulnérable. Ça serait étonnant qu’il te sorte ce genre de chose juste parce qu’il est dans le mood.

-Et si tu me disais plutôt qu’est-ce qui ne va pas ? lui dis-tu en le regardant fixement.

Tu l’écoutes avec intensité, les bras appuyés sur le rebord de la fenêtre. C’est libérateur de pouvoir enfin parler à coeur ouvert. Etonnant également. Il en sait tellement plus que ce que tu imaginais. Mais ça se tient, au final. Et c’est terrifiant, surtout. A quel moment cet imbécile avait-il pensé que ce serait une bonne idée de se frotter à la mafia mexicaine ?

Tes yeux s’écarquillent avec intensité quand il évoque sa blessure.

C’était donc pour ça, le message.
Et son air fatigué.

Et c’est quoi, le travail que lui a proposé ce type ?!

Putain.
Putain putain putain.

Tes poings se serrent en echo avec ta machoire. Non, bordel de merde ! Non ! Tu viens enfin de t’ouvrir à lui, ce n’est pas pour le perdre ! Pas déjà !

Tes muscles se serrent, littéralement prêts à bondir par dessus le rebord de cette putain de fenêtre. La flamme indigo t’alarmes encore plus.

Suivi d’une déclaration.

…

Mais what the fuck Rihan ?!!! Sérieusement !!! C’est la goutte d’eau. Tu fronces les sourcils, et sans attendre plus longtemps, tu sautes le rebord de la fenêtre pour atterrir à l’intérieur. En face de lui.

-« Je t’aime » hein ?

Ta main s’avance, saisis son t-shirt et le soulève vivement. Tes yeux s’écarquillent un peu plus à la vue du bandage.

Ok. Nouvel objectif : défoncer la mafia mexicaine.

-T’es suivi par un médecin au moins ?Tu te traines ça depuis combien de temps ? demandes-tu d’un ton ferme.

T’es hors de toi. Ça te rends folle. Comment il peut se déplacer avec tant de nonchalance et te sortir te sortir des « je t’aime » alors qu’il s’est littéralement fait trouer le bide ?!

Mais c’est que tu vas le trouer aussi, en fait.

-T’es en convalescence et le seul truc que tu trouves à faire c’est de venir cirer mon parquet ?! ajoutes-tu d’une voix qui sans se départir de son calme, laisse toutefois transparaître une colère monumentale.



Et de l’inquiétude.

Tu t’étais même pas rendue compte que tu l’avais soulevé. Très smart Eden. Si on était pas sûrs que sa plaie était ouverte, au moins là on avait pas de doute à avoir. Tu finis par le déposer doucement, rassurée par ce qu’il te dit.

Pour simple réponse, tu lui offre une moue très rare, que tu ne présente pas à n’importe qui. Le genre qui dit « mouais, y a intérêt, à ce que tu fasses gaffe, sinon je te botte le cul ». Le genre qui dit également « Tu viens sérieusement de me mettre une clope dans la bouche ? »
Ou encore « J’suis pas une Bella Swann. Tu peux drop le numéro de badboy qui caresse la joue de la groupie amourachée. »

Sauf que ça te fait du bien, le contact sur ta joue. Ça fait combien de temps que personne ne t’as montré le moindre geste d’affection ? En as-tu déjà eu ?
Si.
Avec Sora.

Et avec Jack aussi.

Ton visage se détend après un soupir. Ta main se pose sur la sienne. Celle qui est sur ta joue. Tu ne sais pas quoi faire de cette clope. Comme d’hab, il finit toujours ses explications en détournant son attention sur autre chose.

-Ok. Ça me rassure de voir que tu vas bien.

Tes doigts glissent entre les siens, tandis que tu éloignes doucement sa main de ta joue.

De deux doigts, tu retires la clope d’entre tes lèvres, et la dépose entre les siennes.

-Je passe mon tour.

Une pensée te vient : et si c’était effectivement un numéro de lover ? Ce qu’il t’as dit plus tôt, tu y crois. Mais le reste…

Jusque là, tu voulais lui proposer une avance. Mais maintenant, t’as la désagréable impression d’être la meuf qu’on séduit pour lui soutirer du fric. Ou alors un challenge de plus à ajouter sur un tableau de chasse. Tes doigts de ton autre main, qui étaient encore mêlés aux siens, finissent par se défaire et s’éloigner. Tu remontes tes yeux vers le bleu de ses iris.

-Tu attends quoi de moi, au juste ?

Sérieusement Eden ?! Après ce que vous vous êtes dit ?

-Si tu veux une fangirl prête à vendre sa mère pour que tu l’embrasses, je penses que tu auras plus de chance au lycée qu’ici.

Une partie de toi flippe un peu à l’idée de briser quelque chose qui vient à peine de naître. Mais l’autre refuse d’échanger une prison pour une autre.

-Et si tu veux trouver la femme de ta vie avec qui faire des gamins un jour et fonder un foyer, je ne pense pas être non plus la personne que tu cherches.