Il ne voyait rien du monde autour de lui, simplement parce qu'il n'y était plus. Mais si la balla de bleue l'avait fait vaquer agréablement, la chute du changement de rythme fut violente, comme si le bateau s'était brisé pour le laisser plonger dans une mer froide.

Froide et rouge.

La première phrase fut un premier électrochoc, le paralysant, alors qu'il sentait des frissons le prendre. L'eau était trop froide, trop profonde. Dans quoi venait-il de plonger ?

La seconde phrase lui rappela qu'il ne pouvait plus respirer. Mais cela ne fit que tout amplifier. Ce que ressentait Arun, il le sentait, il l'entendait, il pouvait presque le voir. Si ses yeux n'étaient pas embués de larmes, peut-être aurait-il pu. Ces larmes qui lui piquaient les yeux ne faisaient que se rajouter à cet océan, celui qu'avait versé son âme-sœur, ouvertement, en secret, dans son sommeil, sans même s'en rendre compte, au fond de son cœur... Aoi s'y noyait, en boule pour résister en vain au froid, sans air. Pourtant il ne s'y sentait pas seul.

Non, Arun était à la surface, il criait de tout son saoul, il l'entendait clairement. Cet océan de sang, de larmes et de douleur, il était au-dessus maintenant. Il... Il respirait, assez pour pouvoir hurler aussi fort, et cet oxygène laissait Aoi respirer, lui aussi, malgré la brûlure.

Brûlure, froid... Le patineur sentait un mélange des deux le mordre, le marquant au fer, une pâle copie de la blessure que portait Arun, mais qui elle semblait cicatriser. Aoi savait qu'il vivrait à présent avec cette marque, il l'arborerait avec force, une façon pour lui de libérer une partie du poids sur les épaules du musicien.

La musique arrivait à sa fin, tant l'intensité grimpa jusqu'au paroxysme. L'océan était secoué d'une tempête, un tsunami puissant, briseur, libérateur, la douleur revenait à la surface, mais elle ne gagnait pas, et avec elle, Aoi se releva. Sa petite bulle de chaleur fragile se brisa et le froid l'attaqua entier.

Ce froid appartenait à Arun, comme le reste de la flamboyante personne qu'il était; il ne le quitterait probablement pas, mais il ne sera jamais rien de plus qu'un souvenir, un passé, une cicatrice. Un tremplin, peut-être même. Mais Aoi s’assurerait que la blessure ne se rouvre pas.

Le dernier mot, susurré avec difficulté, lui avait fait voir un décor différent, tout aussi froid, mais bien différent. Un décor plus personnel, plus familier à son cœur, même si douloureux, mais il se reconcentra sur Arun, sur le bruit de sa respiration contre le micro, ses mains sur son instrument, le frottement presque indistinct de ses vêtements, la sueur mouillant son front et ses cheveux.

Les derniers coups de batterie rythmaient chacun de ses pas, jusqu’à se retrouver devant la scène. Il n’entra pas sous le projecteur, cette bulle ne lui était pas réservée. Alors il ne se permit qu’une brèche, une main tendue, pour saisir sa jumelle, la serrer doucement. Un simple, doux rappel de leur présence à tous deux, ici, dans ce café. Ses lèvres glissèrent doucement sur le dos de cette main, sans aller jusqu’à l’embrasser, mais toujours en la serrant, sans force mais avec émotion.

Il réalisa qu’il se sentait étrangement léger, presque comme s’il flottait, ou si on avait coupé la circulation de son sang dans tout son corps.