Les cours m'épuisent. Rester assis plus de trois heures sur une chaise, à prendre des notes et retenir sa tête de tomber, ça n'a jamais été mon domaine de prédilection. Est-ce que j'ai une tête du parfait petit étudiant qui prend de l'avance et fait ses devoirs pour faire plaisir à son dossier ? Non. Pas du tout. Mais voilà fallait bien que je trouve un truc en urgence. Déjà au lycée, je comprenais que les études c'était pas mon truc. C'est pour cela que j'avais un planning qui alternait les cours et les entraînements, il me fallait quand même un peu de matière grise. Au final, merci la matière grise car je me retrouve ici.

Il me reste du temps avant la reprise. Pour l'instant, je me balade dans la fac. Je passe entre les différentes salles, les mains dans les poches, le dos un peu voûté... ça commence à devenir une mauvaise habitude et faut que je m'en débarrasse. J'avoue ne pas connaître le bâtiment sur le bout des doigts. Il m'arrive de sécher quelques cours, de temps en temps. Disons que je fournis le minimum pour passer et ne pas me faire renvoyer. Pour l'instant ça marche.

D'ailleurs, j'ai pas mangé et j'ai un peu la flemme de faire toute la route au self. Bah tant pis, je vais me contenter de... Attends. Un distributeur ! Perdu dans ce recoin de la fac ! C'est bien ma veine, pour une fois.

« Voyons voir... Eh ils ont des boissons énergisantes. Ça et une barre céréale et je suis refait... »

C'est pas très cher ce genre de trucs, parfait pour mes petites économies. Je sors de mes poches quelques yens qui traînaient par là et je passe ma commande. Les bons numéros, la validation et... Ah ça commence à faire du bruit.

… Pourquoi il fait plus de bruit ? Pourquoi il y a rien qui descend ? Pourquoi j'ai pas ma monnaie ? Pas comme ça. Pas maintenant. Pitié.

« C'est pas vrai... Allez fais un truc... »

Je commence à secouer la machine, légèrement agacé. Bon pas mal agacé. Je veux dire, tout ce que je demande c'est une putain de canette et une barre. On va me le refuser ?! Donne moi ma bouffe !

« Je te jure que... »

Les secondes passent. Mes secousses s'amplifient. Il veut pas ! Hors de question que je paye à nouveau et que je reparte sans. Putain ! Bouge !! FAIS UN TRUC BORDEL ! J'ai pas le droit à ça non plus ?!

Je perds complètement les pédales sur cette machine et, fou de rage, je m’apprête à exploser la vitre du poing. Je sais que je peux le faire, je l'ai déjà fait. Et putain j'en ai envie. Mais, en chargeant mon bras, je m'arrête et donne juste un coup de pied dans la machine. J'avais juste oublié un problème. Même si je peux péter cette vite, je ne sais pas ce qui arrivera à mon bras. Je ne peux pas me permettre de prendre ce risque. Merde, ça faisait des mois que je n'avais pas autant été en colère. Juste pour un distributeur. Je pensais être passé à autre chose avec mes nouvelles rencontres, un nouvel état d'esprit. Mais non. Au final j'ai pas grand chose pour extérioriser.

« Fait chier... »

« Bonjour, désolé de te déranger, est-ce que tu as un soucis avec la machine ?»

J'arrive à reprendre un semblant de calme. Je pensais être tout seul dans ce couloir. Bonjour la honte... Bon, passons à autre chose, prends un air gêné, gratte toi l'arrière du crâne et réponds à ton cher interlocuteur.

« Un peu. Il y a un problème avec le distributeur. J'ai payé et il fait rien. Il m'a même pas rendu ma monnaie. Je pense que je vais aller voir un responsable désolé pour ce spectacle haha... »

Comment reprocher sa curiosité ? Le type voit un fou furieux prêt à détruire une machine qui fait dix fois son poids par pur agacement se défiler au dernier moment. Je pense que le mot pitoyable est limite un euphémisme pour cette situation. Eh j'ai utilisé le mot « euphémisme ». Quel lieu de savoir impressionnant la fac. Marcher sur ce sol me rend plus intelligent il faut croire. C'est de l'ironie. Il n'y a pas d'intelligence en moi. Seulement de la colère qui m'a mené à la frustration. Et j'ai bien failli me ridiculiser devant une autre personne.

Mais je ne sens pas de reproche dans son regard ou ses questions. Une envie de comprendre, une curiosité naïve qui, certes dans tous les cas me met dans une situation compliquée, mais qui est beaucoup plus facile à gérer. Ça fait que je suis un peu plus à l'aise avec la chose, je me détends un peu. Sans le savoir il fait déjà un meilleur boulot que mon psy. Pour ça que j'ai arrêté d'aller le voir par ailleurs. Et en plus, je me dois de remercier ça générosité.

« Merci beaucoup, tu me sauves la vie haha... »

Tentative d'humour. Gros blanc. Échec ? Passons à autre chose.

« Je voulais prendre une boisson énergisante et cette barre de céréale. Je crois que j'ai mis 600 yens. Garde la monnaie. Nan je ne veux rien savoir, c'est déjà bien sympa de ta part de m'aider. »

Je ne suis pas un grand fan de la charité et de la pitié. Ouais je sais ce n'est pas le cas ici mais, comme je l'ai dis, il est déjà assez cool avec moi. Si je n'étais pas comme ça, ma condition me poserait beaucoup moins de problèmes. En attendant, je vais répondre à sa question. En toute honnêteté et sans me défiler. Mais je dis quoi ? Est-ce que je suis handicapé ? Je ne me suis jamais posé cette question, j'ai toujours parlé de « condition ». Mais dans un sens c'est un état qui a changé ma vie, tout en étant quelque chose qui ne m'empêche pas de vivre normalement. Un entre deux. Si je n'avais pas pratiqué les sports de combat, si je n'avais pas été moi, ça n'aurait pas été un problème.

« À une époque j'aurais pu détruire cette vitre sans peine, mais les choses ont changé. Pour tout te dire j'ai une maladie osseuse. Un coup comme celui-là, normal pour moi il y encore un an, aurait pu me détruire le bras et peut-être remonté jusqu'à l'épaule. Enfin bref, c'est la version courte je veux pas poser de malaise ou quoi. Juste, je sais pas, j'ai répondu... »

Bon j'espère ne pas avoir jeté une ère glacière à la conversation parce que le type n'avait pas l'air d'être le mec le plus sociable du monde. On peut dire que j'ai détruit sa tentative de conversation. Après il peut continuer sur ce sujet, je n'ai plus rien à cacher. En attendant, il y a un nouveau blanc. Je peux essayer de lancer un deuxième sujet le temps qu'il trouve les mots.

« En tout cas, t'as l'air plutôt doué avec les machines. Ça demande un mélange de cerveau et d'habileté, deux choses qui me manquent haha. »

J'exagère. Dans un sens moi aussi j'ai de l'habileté... juste c'est un peu plus bourrin. J'ai dû apprendre les règles essentielles au kick-boxing, savoir viser les points faibles, développer mon jeu de jambes, vitesse et j'en passe. Mais c'est pas comparable.

Attends il vient de me proposer de me droguer là ? C'est donc ça les environnements étudiants ? En tout cas, si c'est vraiment le cas, c'est un move incroyable mais risqué. Je veux dire, proposer comme ça au calme, un produit permettant de décupler mes capacités, j'ai le droit de trouver ça louche. Un nouveau blanc se dessine dans la conversation. Je crois que j'ai fait tomber ma bouteille. Je la ramasse et réfléchie à tout ce qu'il m'a dit. De toute évidence c'est un gars intelligent au vu de la vie qu'il m'a raconté. Ce bon samaritain fan de construction n'irait pas proposer de la drogue à ses petits camarades. À bien y réfléchir, on est peut-être plus dans des produits énergisants.

Le coach m'a toujours mis en garde contre ce genre de propositions. Que le dopage, c'était cool sur le court terme mais que c'était mort sur le long terme. Elle l'a pas dit comme ça, mais on va dire que ça résume pas mal. Du coup j'ai toujours fait attention et je suis resté loin de ces trucs. Je suis désespéré de ma situation mais à ce point ? Je pense que le coup du distributeur résume bien les choses.

« T'es sûr que c'est légal ton truc fait maison ? Je ne veux pas donner un étiquette tout de suite mais, j'étais dans le milieu professionnel du sport et t'es pas le premier à te ramener avec la pilule magique qui me fera gagner à tous les coups. »

J'ai pris un ton des plus léger possible afin de ne pas trop le brusquer. Plus j'y réfléchit et plus je pense que c'est vraiment plus du côté énergétique.

« Et tu rembourses si ça ne marche pas ? Parce que, on va se mentir, 120% c'est un chiffre. Genre très haut chiffre. Et puis, je n'ai pas d'argent. »

Malgré cette dernière information qui ferait fuir tous les dealers, il garde le même regard. Celui de quelqu'un qui sait très bien de quoi il parle et qui ne laissera pas tomber l'affaire. C'est lui qui m'a aidé et pourtant c'est lui qui a décidé de ne pas me lâcher. Mais est-ce que j'ai envie qu'il parte ? Les médecins sont nets : maladie héréditaire, aucun traitement, vous finirez dans un fauteuil. Mes jours son comptés et je le sais. Moi qui ai toujours voulu vivre ma vie à fond je dois me tenir à carreau comme le dernier des chiens.

Je me gratte la tête. Pour réfléchir. Je pourrais en discuter longuement, prendre le pour et le contre et donner une réponse plusieurs jours plus tard, quitte à ne jamais le rappeler. Mais je ne suis pas comme ça. Je dois vivre dans l'instant présent. Chose que j'ai oubliée. Et puis, je préfère mourir jeune que d'avoir des regrets une fois dans mon agonie plus vieux. C'est le moment de tester toutes les conneries possibles.

« Bon je ne vais pas t'arrêter, dis m'en plus. Tu peux faire péter mon corps comme tu le faisais avec tes garages, de toute façon je ne m'en sers plus. Mais quitte à devenir un rat de laboratoire, je préfère pouvoir poser un nom sur le visage du scientifique fou. Sans méchanceté, bien entendu. Pour ma part, c'est Taichi. Tout simplement. »

Je ne sais dire s'il est surpris. Est-ce qu'il s'attendait à ce que j'accepte aussi rapidement ? Je n'aime pas trop réfléchir, surtout pas pour ce genre de décisions.

« Et je dois faire quoi pour pouvoir me battre de nouveau ? »

Je n'ai rien compris à ce qu'il vient de me dire c'est incroyable. Mais je réponds à son brofist.

« Je comprends. Enchanté Pet, moi c'est Taichi Amari. »

Mais je pense voir l'idée. En gros, c'est un dopent mais qui est tellement bizarre que ce ne soit pas un dopent. Je veux dire, comment ne pas avoir confiance en ce type ! Il a l'air totalement sûr de ce qu'il fait. Bon je préfère en rire, mais je vois bien qu'il n'est pas le dealer local mais plus un mec qui pourrait révolutionner le monde. En tout cas, les formalités sont passées et je le vois beaucoup plus à l'aise qu'au début de notre conversation. C'est limite si je me demande si tout ça n'est qu'une mise en scène de sa part, qu'il s'attendait à m'approcher à partir du moment où il pensait que j'allais soulever la machine. Je n'ai pas à rougir de ma force mais, si c'est le cas, il a vraiment pris un risque. Limite, il se doutait de ma réaction et de ma réponse. Soit je suis prévisible, ou bien j'ai vraiment l'air désespéré.

J'essaie de prendre ce qu'il me dit à la légère mais je n'y arrive pas. On parle de mon avenir. Je n'arrive pas à rire de mon avenir lorsque c'est aussi concret. Lors de mes premiers entretiens chez le médecin je n'ai pas fait une seule remarque, pas de blague, pas de colère ou autre. Je hochais la tête en déchiffrant ce qu'on me disait. Ben là c'est pareil.

« Et quels sont les dangers ? Je veux dire, un tel boost ça doit bien avoir des conséquences, que cela  soit physique ou neuronale. Surtout que je ne sais pas si ça règle mon problème. Ma maladie elle vient de mes os fragilisés. Ou alors ça fait vraiment des miracles ton truc. »

On m'a dit récemment qu'un miracle pouvait arriver. Mon médecin m'a dit non. Donc pour moi c'est non et c'est pour ça que j'ai lâché mon coach. Est-ce que j'ai à ce point envie de remonter sur un ring ? Ou juste de me battre ? Je pense que c'est plus compliqué que ça. Je ne m'étais jamais posé la question et la seule façon pour moi d'y répondre c'est de guérir. J'aviserai à ce moment-là.

« Sinon je préfère que tu restes dans les grandes lignes. On gagnera du temps et ça va m'éviter de m'inquiéter encore plus. De mon côté, je suis prêt à faire des efforts en me remettant en forme, essayer d'être vraiment comme avant pour être au top. Car j'imagine que c'est aussi ça ton expérience, voir jusqu'où on peut aller. Eh ben on va bien voir. Putain avec cette phrase j'ai vraiment l'impression que je vais me droguer... mais si tu m'assures que c'est plus compliqué que ça je veux bien te faire confiance. Juste au moindre doute je me casse. Compris ? »

Je le regarde droit dans les yeux pour faire passer le message. On est sur du donnant-donnant mais je veux qu'on pose ce pseudo-contrat à plat.

« Mais je suis prêt quand tu l'es. Tout de suite, demain, dans un mois je n'ai que ça à faire. Juste, je dois faire quoi exactement ? »

« Tu poses sérieusement la question ? »

Un large sourire se dessine sur mon visage, j'en oublierai presque la partie sur les effets secondaires. Mais je suis de plus en plus curieux. Il me parle d'un état sans la pilule, presque comme un super-pouvoir et, même si tout cela semble plus qu’invraisemblable, j'ai envie de faire mon naïf. S'il y a bien un moment dans ma vie où je dois être un idiot c'est aujourd’hui. Je n'ai rien à perdre, si on met ces effets secondaires de côté. Je ne vais tout de même pas mourir d'overdose non ?

« Pour ma part, je n'ai pas l'intention de retourner en cours avec tout ce que tu viens de me dire. Une fois la reprise, il n'y aura plus personne dans les couloirs. C'est une université pas un collège et personne ne surveille une université, ça demanderai trop d'effort de leur part. Il suffit juste de ne pas se faire prendre. »

J'essaie d'apparaître confiant, sûr de moi. Dans un sens je dois l'être mais le fait d'y penser m'impose un certain doute que j'essaie de dissiper en exagérant devant mon nouveau camarade de science. Moi qui le prenait pour un simple mécano. Si la moitié de ce qu'il m'a dit est vraie, ce mec mérite d'aller dans un truc style la NASA, ce qui me fait d'autant plus interroger sur le pourquoi de sa proposition. Mais je n'ai pas envie de lui demander, pas tout de suite. Comme je lui ai fait comprendre, je refuse de perdre du temps.

« Suis-moi, on va passer par l'extérieur, on sera pas les premiers à aller traîner dans ce coin. Mais comme tu l'as dit on devrait être tranquille pour me montrer... ce que tu veux me montrer. »

Tout cela devient trop cryptique pour moi. Longtemps je me suis refusé de me faire de faux espoirs. Toutes ces personnes que j'ai croisé récemment qui m'ont dit de m'accrocher, de ne pas abandonner, je ne les écoutais que d'une oreille et loin d'être attentive. Il faut savoir raccrocher et en avoir conscience. Pourtant me voilà accompagné d'Albert Einstein pour me droguer avec une drogue qui n'est pas une drogue et dans le futur me guérir avec un... un... exomachin là. Ouais un exosquelette. Si c'est comme dans les films c'est plutôt hardcore... Peut-être que ces pilules et cet état second suffiront s'ils décuplent mon corps. On n'en est pas encore là.

« Tu m'as parlé de l'après pilule, mais tu ne m'as pas parlé du pendant. Tu dis que mon corps va se fatiguer en 5min mais il doit il y avoir une raison. Il va se passer quoi ? »

On respecte toujours le contrat, on n'esquive pas les questions.

« Et si je comprends bien toi t'as l'habitude. Du coup tu vas me montrer des trucs dignes de Super-man ? Il y en a beaucoup dans cette ville des désespérés qui ont pris cette pilule ? Après, tu n'es pas obligé de répondre à ces questions car on sort un peu du sujet. »

J'espère que ce n'est pas secret défense...

Avec la Zone 51 en tête, nous arrivons devant ce fameux sous-sol.

Je m'attendais à beaucoup de choses. En fait, je m'attendais à presque tout. Mais il faut croire que non, je n'étais pas prêt à ça. Nombreux sont ceux qui trouvent que je suis quelqu'un de détaché, capable de m'adapter à n'importe quelle situation, celui qui s'en fout... Au passage je me rends compte que je n'ai jamais respiré aussi fort. Est-ce que ce serait une crise d'angoisse ? Non. Cerveau ? Concentre-toi s'il te plaît. Reste avec moi. Oui, la tête du petit blond vient de prendre feu et vient de faire un saut à la Jackie Chan puissance dix mille.

« Ok. Ouais, la base. Super. Je comprends. »

Je ne comprends rien. Mes yeux sont fixés sur lui. Je voulais quoi moi à la base ? Ah oui, pouvoir boxer à nouveau. Ce serait un euphémisme dire que ça pourrait être efficace. Mais pour l'instant, j'ai du mal à rassembler mes idées.

« Donne-moi deux minutes pitié ! Je suis à toi dans quelques instants ! Oh putain... »

J'ai mes mains sur mes genoux, je prends une profonde respiration. Bordel, pour la démonstration c'est plutôt efficace. Et ces pouvoirs c'est dépendant de la personne ? On dirait un comics. Je sens que je vais péter un câble. Est-ce que je pars ? Je lui dis ok mon pote c'était bien sympa, mais au final je vais me concentrer sur mes études de merde et m'achever à la bière ce soir. Idée alléchante. Gros planning. On va faire ça car là le mec qui s'adapte à tout il a disparu. Je ne peux pas m'adapter à ça. Je me relève lentement, presque de manière solennelle sans m'en rendre compte. Un mouvement très mécanique, artificiel. Je vais partir et définitivement enterrer mon destin.

Et puis, un souvenir me frappe. Le moi gamin et adolescent turbulent. Celui qui aurait pu devenir une brute si je n'avais pas eu de l'aide. Je sais que j'ai pu être violent tout au long de ma vie, mais rare sont les personnes qui m'ont demandé pourquoi j'étais comme ça. Moi même, avec mon cerveau qui ne fonctionne que sur l'instant présent, je me suis longtemps posé la question. La vérité est que mes éruptions n'étaient jamais gratuites. Protéger et se dépasser, voilà les deux seules choses qui font carburer mon corps, qui me font exploser. Ce truc pourrait me guérir certes c'est un avantage, mais il faut que je regarde encore plus loin pour une fois dans ma vie.

Au fond, pourquoi je me prends la tête ? Après m'être donné deux grosses claques au visage, j'affronte du regard mon ami acrobate. Je repense à notre conversation encore fraîche et j'ai du mal à croire qu'il fait ça par pure générosité. Je pourrais lui demander ce qu'il veut de moi, c'est quoi son objectif ? Juste voir ce sera quoi ma particularité ? Si je vais faire la roue sur les murs ou si je vais contrôler le métal ? Mais je n'ai pas l'intention de lui demander pour l'instant. C'est vrai quoi, faut bien s'adapter à toute situation non ?

« Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? J'ai d'autres choses à savoir ? Dans tous les cas, j'ai pigé le délire et je suis prêt quand tu l'es. On ne va pas tourner autour du pot comme on dit. »

Je ne sais pas si je le presse le garçon, je dois avoir l'air impatient. Je ne le suis pas. Mes émotions sont fortes et font taire ma peur.

« Une... une dernière volonté ? »

Je penche un peu la tête, n'étant pas trop sûr d'où il voulait en venir. Quelques secondes passent, il a toujours le bras tendu, je le fais légèrement attendre. Mais j'essaie toujours de comprendre. De toute évidence, avec ce qu'il m'a montré, cela doit être une étape importante. Bon, ne le laissons pas attendre plus longtemps, j'ai l'impression que son bras va tomber.

« On est parti ! Un, deux, et... »

Je m'arrête. Non, il y a un problème. Quelque chose en moi me dit que pour une fois dans ma vie, il ne faut pas que je prenne la chose à la légère, que je me fasse pousser par mon instinct. Il faut que je me décide verbalement sur cette dernière volonté. Donc, il faut réfléchir.

« Tu peux me donner trente petites secondes ? Super ! »

Au final c'est quoi une dernière volonté? C'est ce qu'on a avant de mourir, un souhait. Donc, je vais mourir ? Ce n'est pas le détail le plus important. Il faut que je pense à l'avant. Mais, au fond, je ne suis pas si éloigné que ça de la mort, pour moi en tout cas. Je suis mort une première fois le jour où je me suis fracassé mon bras à l’entraînement, là où ma vie s'est terminée. Donc je veux pouvoir boxer à nouveau ? Oui... mais non. Si je remonte plus loin, pourquoi j'ai commencé à boxer ? Ça m'a canalisé, m'a fait voir de nouvelles perspectives. J'étais tout seul, je n'étais qu'un animal enragé, et j'en suis toujours un, mais on m'a fait comprendre qu'il pouvait il y avoir plus. Se battre c'est bien, se battre pour une cause c'est mieux. Au final, ma dépression ne venait pas que de mon impuissance, mais de ce que je ne pouvais plus réaliser.

Les secondes passent, puis une minute, puis deux. Je me suis instinctivement installé par terre, les genoux croisés, à me caresser le menton les yeux fermés. Je plein Peter qui m'attend. Puis les nuages dans mon cerveau commencent à disparaître, je vois ce que je veux, je réponds à sa question en me relevant.

C'est quoi ma dernière volonté ?

Avoir la force de faire ce qui est juste pour les autres.

« Je suis prêt. »

Nos regards se croisent et, de manière solennelle j'avale cette mystérieuse pilule.

Je m'attendais à ce que l'effet soir instan... Pourquoi j'ai chaud comme ça là ? J'ai chaud. J'ai très chaud. Je retire ma veste alors que les premières gouttes commencent à couler de mon front. Je ne dis rien, j'essaie mais je n'y arrive pas. Comme si je n'avais plus de salive. Puis vient la douleur. Mes os. J'ai mal ! Bordel ! Mes muscles. Tout se contracte. Focus. J'arrive plus. À suivre. Plus idiot. Que d'habitude. Concentration. Ok... Mon corps s’adapte, je le sens. Comme avant. Non. Plus fort qu'avant. Jamais été aussi fort. Je peux endurer le corps... mais pas le cerveau.

« BORDEL ! MA TÊTE ! »

Tellement chaud. Impression que tête est en feu. Ça brûle tellement. J'ai envie que ça s'arrête. Je commence à baver. Je crois. Donnerai tout pour que ça s'arrête ! Casser. PITIÉ. ARRÊTEZ TOUT. Je dois me contrôler. Pense trop rapide. Focus. Je regarde Peter. Arrache-lui un bras. Quoi ? J'ai du mal à rester debout. Suis trop lourd. Un genou se pose par terre. J'entends le sol se casser. Brise ses jambes. NON. Dois focus. Comment focus ? Comment pas tout casser ?

Je marche. Devant le mur. Ma tête en arrière. Puis en avant. Elle fracasse le mur. De toutes mes forces.