Tu ne l’as jamais vu, mais tu as définitivement entendu parler de lui. T’as pas épluché tous les recensements des clubs pour rien, après tout.

-Je vois. Enchantée, Tokimori-San, réponds-tu, souriant toujours.

Il a l’air… gentil ? Pas du genre à poser des problèmes, en tout cas. Parfait. Déjà que l’autre te donne du fil à retordre, il ne faudrait pas que tu ait un autre fauteur de trouble sur les bras. L’insubordination, ça va un moment. Et tu n’as pas toute la journée.

Tu examines d’un œil expert la sélection en question. Effectivement, il y a du choix. Tu doutes même que vous parveniez à tout plier dans les temps impartis. Mais au moins, ce ne sont pas uniquement des costumes pour Otaku.

Le temps que le garçon se change, d’autres élèves arrivent. Ces abrutis sont en retard, mais passons. Tu avises le garçon roux alors qu’il se viande par terre, avec un sourcil haussé. As usual, tu es unimpressed. Il faut regarder où on met les pieds, enfin. Tu réprime un soupir et lèves furtivement les yeux au ciel, tandis que la première année se précipite pour l’aider. Quelle perte de temps.

-Tu devrais te changer pendant qu’on se charge de Tokimori-san, Manako-chan, déclares-tu d’un ton neutre, puis, te tournant vers le photographe avec un sourire : Nous devrions nous mettre dehors tant qu’il fait beau, n’est-ce pas, Toyoaki-sama ?

-Oui, c’est une bonne idée, répond le photographe avec politesse, j’ai cru voir un petit carré d’herbe avec des arbres, dans l’enceinte du lycée. Et la lumière est très belle !

-Alors, c’est décidé. Manako-chan, indique-moi s’il y a besoin d'accessoires et de décor à emmener. Jun-kun ?

Un des deuxièmes années qui viennent d’arriver dans la pièce s’avance, tout souriant, se grattant timidement la tête.

-Ça te dérangerait de porter tout ça dehors avec les autres ? demandes-tu avec un sourire, la voix plus douce qu’à l’accoutumée.

-N-non pas du tout, McCampbell-chan !

Tu le gratifies d’un sourire. Les autres garçons qui l’accompagnent sont dans le même état d’esprit et s'exécutent. Aaaah, que ça fait du bien d’avoir des gens un minimum docile dans son entourage !

-Ne perdons pas de temps et allons nous installer. On a beaucoup de travail, déclares-tu en tapant dans tes mains.

Avoue, tu adores jouer la petite chef.

Quand tu demandais qu’elle se change, c’était pour que vous puissiez gagner du temps et commencer sans elle, pas faire une photo de couple ! D’ailleurs, tu te poses momentanément la question : est-ce que ces deux-là sont en couple ? Ils semblent proches en tout cas. Mais bon, tu ne cherches pas spécialement à trouver de réponse. Ce n’est pas crucial pour la suite, et tu as d’autres chats à fouetter.

Ceci dit, maintenant que vous y êtes, autant faire d'une pierre deux coups. D’autant que la demoiselle ne met pas longtemps à se changer et que le costume est pas mal. On y croirait presque. D’ailleurs, elle s’y croyait aussi. Avec un petit soupir hautain très discret, tu tournes les talons sans rien dire. Tant que ça ne freine pas ton travail, tu n’en as rien à foutre, que cette fille se prenne pour une héroïne de Shonen.

Le groupe de deuxièmes années qui est venu te servir t’épauler dépose doucement le matériel, tandis que Toyoaki-Sama effectue des réglages sur son appareil. Tout le monde se met en place. Finally.

-Merci les amis, déclares-tu innocemment à l’attention de Jun-kun et de sa bande, vous m'ôtez une épine du pied ! Je vous appellerai si jamais j’ai encore besoin de votre aide.

Sous-entendu : cassez-vous, c’est au pro de faire leur travail maintenant. Dès lors qu’ils sont partis, tu te tournes vers les deux modèles. Définitivement trop petits. T’as pas l’habitude. Tu laisses ton photographe faire lui-même son travail : ajuster la position de ses deux modèles; choisir le meilleur coin. Les bras croisés, tu regardes la scène avec attention, à l'affût du moindre détail qui pourrait ruiner le tableau.

Manako semble comme un poisson dans l’eau. Ça t’irrite de voir qu’elle se débrouille aussi bien devant l’objectif. Son ami, par contre…

-Tokimori, pourrais-tu te détendre un peu ?

Tu fais claquer ta langue sur ton palais d’impatience et te places à côté de lui. Tu ne prends pas la peine de changer la pose qu’ils ont prise. Ça fait partie de l’univers, après tout. Essayer de faire coller ça aux codes du mannequinat, ce serait complètement inapproprié. A côté de la plaque. Par contre, faire en sorte que le modèle semble plus à l’aise sur les photos, ça, c’est crucial. Alors tu prends la même pose que lui (oui, Eden avec une pose de Goku, vous ne rêvez pas) en lui donnant des indications pour qu’il corrige la sienne. « plus ferme, le bras » « le dos plus droit » et en n’hésitant pas à lever son menton d’une main, faire pivoter son buste.

-On va prendre quelques photos individuelles et on passera aux costumes suivants.

Un Batman…

Qui mesure mètre soixante.

Tu fixes l’énergumène en face de toi avec un air désabusé. Des gamins. Tu es entourée de gamins. Te frottant les yeux avec un soupir, tu indiques au rouquin d’aller se mettre en place. Tu tentes d’ignorer l’indignation qui naît en toi. Avoir un Batman aussi petit, ça frise le blasphème. Mais bon, au moins, le costume est suffisamment bien fait pour tricher sur sa carrure. Tu dois au moins admettre ça. Au final, sur la photo, ça ne se verrait pas du tout.

En tout cas, et ce malgré son entrain, le première année semblait toujours aussi gauche sur les photos. Ce n’était pas vraiment étonnant. Être mannequin n’avait rien de facile. Ce ne serait pas ton métier si ce n’était pas le cas. Tu ignores la demoiselle qui vient d’arriver, faisant claquer une énième fois ta langue son ton palais.

-Non, non, non et non. Ça ne va pas. Tokimori, viens avec moi. Pendant ce temps-là, je laisse Manako-chan à vos bons soins, Tayoaki-sama.

Isolant le jeune lycéen, tu finis par poser tes mains sur les hanches, avec un regard dur.

-Je vais te demander de fermer les yeux et de prendre de grandes inspirations.

Parce que le stress est clairement mauvais pour prendre des poses.

-Bien, maintenant, j’aimerais que tu te redresses et que tu bombes le torse. Tu es Batman, bon sang. Le justicier masqué. Tu es fier et invincible, alors je veux que ça se sente dans ta posture, siffles-tu d’un ton autoritaire.

Ouep, t’allais le coatcher comme ça jusqu’à ce qu’il te fasse un Batman décent. Un petit Batman, certes. Mais un Batman décent malgré tout.

-Si tu as fini de ton côté, on peut enchaîner avec la suite, sommes-tu à l’intention de Saphire.

Oui, c’est mieux.
Beaucoup mieux même. Dès lors que les photos avec la première ont été prises, tu demandes au photographe de passer au super héros masqué. Ses poses ont tout de suite plus de chien, même si tu dois y revenir plusieurs fois, comme pour les photos précédentes.

-Bien, Takimori-kun. Tu peux passer au costume suivant.

Ce sera probablement la dernière ou l’avant-dernière série. Tu n’as pas que ça à faire non plus, et accorder une heure de ton temps parce que ces idiots ne savent pas faire leur travail, c’est déjà bien assez.

Quand la demoiselle arrive, en revanche, tes yeux font un aller-retour entre son visage et ses pieds. Tu hausses un sourcil. Il va probablement y avoir un léger contretemps, finalement.

-Je ne reconnais pas ce personnage, déclares-tu froidement à l’intention de la demoiselle.

Et si tu ne le reconnais pas, c’est probablement que le personnage n’est pas assez connu. Même si tu n’y passes pas tout le temps que tu voudrais, tu as tout de même une culture geek plus qu’acceptable.

-De quelle œuvre est-il tiré ?

Effectivement, tu n’as pas joué à Ocarina of Time. Et dieu sait que ça te fout les boules. Peter n’avait que Majora’s Mask sur sa N64, et autant ce jeu-là était excellent, autant tu as toujours rêvé de te faire le premier opus, un jour. Bien sûr, l’occasion ne s’est jamais présentée.
*Merci de me le rappeler, ça fait plaisir.* penses-tu rageusement en fusillant la concernée du regard.

-Pas besoin de le prendre sur ce t-

Tu n’as pas le temps de répliquer que la demoiselle est déjà partie. Tu bouillonnes. Comment ose-t-elle t’ignorer ? Tout ça parce qu’elle ne supporte pas qu’on lui dise ses quatre vérités. Il va falloir qu’elle s’y habitue, tu ne comptes pas changer de sitôt.

-C’est irrespectueux de me couper la parole, surtout au vu des efforts que je mets en place pour ce club ! Et je trouve lâche de fuir sous réserves que l’on n’a pas envie d’entendre la critique ! t’exclames-tu alors qu’elle disparaît derrière les paravents.

Tu ne vas pas en rester-là, tu t’en fais le serment. Mais plutôt que de perdre plus de temps alors que tu n’en as déjà pas assez, tu t’occupes du Jedi qui vient d’arriver en attendant qu’elle revienne. C’est moins pire qu’au début de ses performances, c’est déjà ça de pris. Tu n’as presque plus rien à ajouter. Un coup d’oeil vers la jeune fille un peu plus loin t’indique qu’elle a opté pour un costume tout droit sorti de Final Fantasy 7.

Quand la demoiselle revient, tu t’adresses à elle d’une voix plus froide, les bras croisés. Tu ne la regarde même pas, tes yeux toujours rivés sur le photographe travaillant de pair avec Takimori.

-C’est ridicule de ne pas se sentir digne du costume de Zelda. Quitte à choisir un univers pour présenter tes costumes, autant en prendre les personnages principaux. De plus, ton cosplay d’Aerith que tu portes est la preuve que tes inquiétudes ne sont absolument pas fondées. Alors si tu l’as en stock, j’ose espérer que le prochain costume après celui-ci sera celui de la détentrice de la triforce de la sagesse.

Alors celle-là, elle est bonne. A tes yeux, tu n’as littéralement rien fait pour la provoquer. Depuis le début, tu te saignes les quatre veines pour résoudre une problématique qu’elle t’a posé, faire en sorte que son stupide club ai plus de succès, et ramener un véritable professionnel pour ça. Si ce n’est pas de l’ingratitude, tu ne sais pas ce que c’est.

Ça n’aurait pas être de trop de demander si lesdites personnes avaient effectivement besoin d’aide, peut-être, mais l’idée ne t’as même pas effleuré l’esprit. A tes yeux, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et tu es définitivement la meilleure pour savoir ce qu’il y a de mieux. Dommage pour elle. (Dommage pour toi aussi ?)

-Soit. Mais dépêche toi, on doit tout boucler pour dans vingt minutes.

Parce qu’après, tu as toi-même un rendez-vous dans un studio. Un vrai pour le coup. Pour peu, tu te demandes ce qui te retiens de laisser ces ingrats en plan. Puis tu te rappelles. Tu n’aimes pas les choses faites à moitié. Tu as horreur de ne pas tenir tes engagements. De plus, les propos de Takimori prouvent qu’au moins une personne ici a conscience de tous les efforts que tu fais pour eux. Alors tu prends ton mal en patience. Tu es si bonne et si magnanime, pourquoi ces ernergumènes sont-ils constamment incapable de s’en rendre compte ?
Avec ton air désabusé, tu indiques à Dan de nouvelles positions à faire. Il semble étrangement plus à l’aise en Sherlock. Ce doit être parce que le personnage lui sied mieux, penses-tu. Il lui donnerait presque une nuance comparé au personnage d’origine.

Des bruits de pas te sortent de ton travail, et tu te retournes, les bras croisés, prête à accueillir la demoiselle d’un énième commentaire. Seulement, tu ne parviens qu’à écarquiller légèrement les yeux.
Merde.
Ce costume est...

-Magnifique, laisses-tu échapper dans un souffle.

Magni- ? UGH. As if ! Certes, ce costume est PAS MAL, mais magnifique ? Sûrement l’effet de la luminosité. Le soleil est bas, ça donne une ambiance particulière qui sied parfaitement cette perruque finement coiffé et ce tissus délicatement orn-
NON MAIS ÇA VA PAS ? Reprends-toi Eden. Ce costume, c’est du bas de gamme fait par une rotuière. De la poudre aux yeux. Tu n’as aucune raison de t’extasier devant, ni d’être envieuse. Envieuse de quoi d’ailleurs, hein ? Ce n’est pas comme si tu envisageais ne serait-ce que l’idée de porter ce genre de chose.

Puis il y a pleins de défauts. Il est trop grand pour elle. Et il… Il est trop grand pour elle, voilà. Puis cette folle n’a pas la prestence de Zelda. Elle ne fait que la REPRODUIRE. Voila. Ce que tu as devant les yeux est une contrefaçon. Rien qu’une contrefaçon. Et puis, si tu as une fascination pour le personnage depuis toute petite, ce n’est clairement pas ton préféré. Enfin, pas sous cette version-là.

Tu te racles la gorge.

-C’est… A la hauteur de ce que je t’avais dit. Evidemment, il y a des problèmes de tailles, alors on va prendre des poses assises pour faire illusion.

Voilà, remettre les pendules à l’heure. C’est TOI qui a raison. Et puis, tout ce que tu dis es justifié, d’abord.

-Tu n’aurais pas un costume de Link pour aller avec ?

… Ou de Sheik, te surprends-tu à penser.

Les rayons du soleil filtrent au travers de l’arbre sous lequel vous vous trouvez. Faisant tourner ton stylos entre tes doigts, tu avises le photographe immortaliser la princesse d’Hyrule.

Et tu songes qu’il y en a qui ont bien de la chance de pouvoir faire comme bon leur semble.

Pas que tu changerais ta place pour la leur, thought. Tu es importante, tu es une héritière. Et tu as un but. Non clairement, les choses sont biens telles qu’elles sont.

Le héros du temps fait son entrée en scène, et tu vois la première année tendre doucement la main vers lui.

-Tayoaki-sama, sommes-tu à voix basse.

Semblant comprendre tes intentions, l’humble photographe saisit son appareil, et un « clac » retentit, puis un second, puis un troisième. Les bras croisés, tu bascules ton buste vers l’arrière, jetant un œil au petit écran entre les doigts du photographe. Ce dernier se tourne doucement vers toi avec un sourire.

-C’est un très beau moment que nous venons de capturer, McCampbell-chan.

Tu peux voir dans l’expression apaisée du professionnel toute la passion du travail bien fait. Et il a raison. La scène sur le petit écran est magnifique, tu ne peux le nier. Suffisamment éloignée pour la rendre solennelle. Suffisamment proche pour en faire partager l’intimité. Le contre jour, bien que sacrifiant quelque peu les détails des costumes, confère au tableau une ambiance à la fois magique et romanesque. Et la pose. Le port noble de la princesse et la révérence maladroite de son chevalier.

Une scène qui aurait pu être tout droit tirée du jeu vidéo.

-Je pense qu’on a fini, finis-tu par déclarer d’un ton cinglant à l’assemblée, avant de t’éloigner et pianoter sur ton portable, à la surprise de ceux qui s’étaient changés pour une nouvelle série de photos.

Quelques minutes plus tard, tes petits larbins sont en train de tout ranger. Toi-même tu remercies le photographe en mettant ton trench coat sur ton dos. Même s’il fait chaud, les soirées peuvent être fraîches. Alors que tu enfiles une manche, tu t’adresses à la demoiselle, sans même daigner la regarder.

-Tu devrais recevoir un exemplaire des photos et des plaquettes par mail d’ici quelques jours. En espérant que cela t’attire plus de monde d’ici le festival.

C’est rhétorique. Tu n’as aucun doute que son travail mis ainsi en valeur va attirer plus de monde. Pour le reste, elle peut bien se débrouiller.

-Je repasserais probablement pour vérifier où en sont les préparatifs.

Oui, elle peut se débrouiller, mais tu vasclairement faire en sorte d’y mettre ton grain de sel.

-Bonne soirée, finis-tu par déclarer en prenant la direction de ta voiture.

Maintenant, il est temps pour toi de passer de l’autre côté de l’objectif.