Tu consens à sa question d’un hochement de tête. C’est quasi ton boss, maintenant. Il t’appelle littéralement comme il veut.

La petite étincelle dans tes yeux grandit. Ses plans pour les Nobusuma te plaisent. Ils te plaisent beaucoup, même. Mais ça te parait évident. Si la mafia s'étend, et que tu en fais partie, alors les McCampbell grandiront aussi. Et puis, si les Nobusuma deviennent aussi indispensables aux autres familles, alors tu n’auras plus aucun mal à te rapprocher des Vongolas.

Encore une fois, tu as prouvé que tu en étais capable. Si avec ça, tes parents ne te foutent pas un peu la paix.

Tu écoutes le reste avec une grande attention, anticipant tes prochains coups avec précision. Ta famille pourrait apporter bien plus que des produits de luxe. Vos experts en textile, qui figurent parmi les meilleurs d’Europe, pourraient également donner un coup de main dans la finalisation d’un tissu résistant aux flammes. Mais tu pourras faire cette proposition plus tard. Chaque chose en son temps.
Un petit sourire humble étire tes lèvres, tandis que tu imagines un Yuri plus jeune, portant la fameuse jupe que tu as toi aussi portée. Ça n’a rien d’étonnant cependant. La plupart des figures finissent toujours par porter du McCampbell.

Bref, ta place est assurée. Tu as assuré. La quête que tu mènes depuis le début de l’année scolaire semble toucher à sa fin. Tu n’es pas au bout de tes peines, bien sûr. Maintenant que tu y es, tu vas devoir redoubler d’efforts pour montrer que tu es à ta place, au sein de la mafia japonaise. Tu vas devoir obtenir des résultats rapidement, comme tu as appris à le faire. Et également apprendre à te défendre, histoire que la prochaine balle que tu prendras entre tes deux yeux ne soit pas la dernière.
Mais tu es prête. Tu ne l’as jamais autant été qu’à cet instant. C’est comme si un chapitre tout entier de ta vie était en train de s’achever.

Ouais, t’es prête, mais pas à tout, faut pas déconner. T’as appris à vivre comme une adulte, mais tu restes une ado. Donc quand la jeune personne en face de toi s’approche et te prends les mains, tu ne peux t’empêcher d’avoir un très léger mouvement de recul, par réflexe. Tu corriges ça immédiatement. Merde, t’étais pas prête à ça pour le coup. Pourtant, dieu sait que t’as l’habitude des contacts, quand t’as des invités. Tu supportes avec un grand sourire les illustres mains te touchent comme une poupée, d’ordinaire.

Tes épaules se tendent, tandis que tu luttes pour ne pas prendre un air gêné. Les déclarations, c’est vraiment pas ton truc, hein ?
Tu essayes de sourire, mais en entendant ses paroles, ton activité cérébrale semble s’être suspendue. Ton expression faciale aussi. Elle a bien dit… gardien de la tempête ?

Ton cerveau reprend au quart de tour. Reviennent à ta mémoire les paroles de ton maître, qui t’as expliqué ce qu’étaient les gardiens, et quel était leur rôle. Ce ne sont pas seulement les membres les plus proches des parrains des différentes familles. Ce sont aussi de grands stratèges et guerriers, chargés de défendre leur famille quel qu’en soit le prix. En clair, tu ne t’attendais pas à avoir une telle promotion dès le début. A tes yeux, tu restais cet émissaire étranger qui venait en renfort, pour un partenariat. Tu te voyais comme un conseiller, à la rigueur, tout en sachant que tu allais devoir faire tes preuves pour t’incruster plus profondément au sein de la mafia. Mais là. Là on te propose carrément le poste le plus prestigieux en dehors de celui du parrain.
Le poste le plus dangereux aussi.

…

Ça te hype beaucoup trop pour ton propre bien.

T’es contente. Et tu comprends pas. Genre vraiment, pourquoi faire de toi d’office quelqu’un d’aussi important ? N’y a-t-il pas un processus de recrutement ? Yuri n’a-t-il pas déjà des gardiens à sa botte ? Tu sais que ceux des Vongolas ont disparu, mais du coup tu t’interroges. Ceux de Yuri ont-ils disparu aussi ?

Questions difficiles à poser.

Un sourire poli étire tes lèvres, tandis que tu poses à ton tour ta main libre sur celles de l’adolescente. Tu réponds presque par réflexe, en inclinant respectueusement la tête.

-Ce serait un immense honneur que d’assurer un rôle aussi important. Et d’être votre amie aussi. Je ferais tout pour en être digne, Mademoiselle… Monsieur...

Tu seras tout ce qu’il/elle veut si ça peut garantir ta place. Même si une partie de toi s’étonne de la tournure de ses phrases. Pourtant, c’est classique, dans le milieu, d’entendre : « Je suis ravie que nous ayons trouvé un accord, et espérons que nous serons bons amis. » Mais dit comme ça, ça sonnait plus comme… Une gamine qui veut devenir amie avec une autre gamine ? Sûrement l’effet de sa petite voix fluette.

-Pardonnez ma question, mais comment désirez-vous que je m’adresse à vous ?

Ok. Yuri, tutoiement. Noté. Tu ne feras plus l’erreur.

-D’accord Yuri, comme tu voudras, réponds-tu avec ton éternel sourire poli.

Tu as l’habitude de t’adapter, après tout. Bien droite, tu serres les mains de la jeune fille pour faire écho à son propre geste. Tu écoutes attentivement, un poil étonné, même si ton sourire demeure.

Elle lit dans tes pensées, ou quoi ?

En tous les cas, elle a regagné à tes yeux cette image de fille naïve qu’elle avait une demi-heure plus tôt. C’est perturbant. Comme si elle avait deux personnalités drastiquement opposées. De la schizophrénie peut-être ? Ou de la bipolarité ? Tu ne sais pas grand-chose sur le sujet, mais ça te travaille un peu. Intégrer la mafia, oui, mais si c’est pour te retrouver à servir des fous furieux, ça te convient un peu moins. Enfin, ce n’est pas le moment de faire des suppositions basées sur rien. Tu verras bien. Et si Sora lui fait confiance, il n’y a pas de raison que tu n’en fasses pas de même.

En tous les cas, tu trouves ça limite décevant. D’avoir été choisie comme gardien juste parce qu’elle t’apprécie. Tu ne comprends même pas pourquoi d’ailleurs. Tu n’as jamais été sympa avec elle. Certes, elle a dû te prendre pour tes compétences aussi mais… Tu ne sais pas. Ça te paraît précipité, comme décision. Ceci étant dit, tu feras tout pour être à la hauteur de ta tâche, bien sûr. La question ne se pose même pas.

Comme tu l’avais présumé, les gardiens des Nobusuma ont donc bien disparu en même temps que les Vongolas. A l’exception d’un seul, visiblement et…
What the…
Ce sont des larmes ça ?

…
Shit ! Shit ! Shit !

Tes yeux s’écarquillent légèrement, ton sourire se perd. Putain de merde, mais c’est quoi cette manie de ne pas garder ses émotions pour soi ?! C’est privé, enfin ! Ces mafieux n’ont-ils donc aucune pudeur ? Elle aurait pas pu attendre dix minutes le temps que tu te barres ?!
Et toi t’es là, comme une con, à pas savoir quoi faire. Ça la fout mal, de pas réagir, non ? Mais en même temps, t’as jamais eu besoin de faire l'assistante sociale, toi ! Comment t’es censée savoir ? On fait quoi dans ce genre de situation ? T’as déjà dû consoler des amis pour du flan, mais pour le coup, ça te semble pas vraiment approprié. Réfléchis, putain, Eden, réflechis. Et merde pas !

-Yuri.

Tu romps le contact avec ses mains poses doucement une des tiennes sur son épaule.

-Je te présente toutes mes condoléances. Je ferais de mon mieux pour t’épauler dans ta tâche.

T’arrives même pas à déterminer si ce que tu lui dis est bien ou pas. Mais bon, tu l’as dit avec beaucoup plus de conviction que ce que tu espérais, c’est déjà ça de pris.
Sans attendre, tu te penches un peu vers ton sac, enfouies momentanément ta main libre et en sors un magnifique mouchoir en soie brodé. A la moindre fuite, tu n’hésiteras pas à le tendre doucement, pour donner le change.

Sourire ok. Remerciements. Ok.
C’est bon, fin de la crise. Tu peux desserrer les fesses Eden, le pire est passé. Sans perdre contenance, tu déposes simplement le mouchoir sur la table, le logo des McCampbell brodé bien en évidence.

Tout de même, ça te perturbe. Qu’une figure si éminente soit une gamine qui se laisse aller à ce genre de choses. Certes, il y a sa démonstration un peu plus tôt, qui t’a prouvé qu’il était capable de faire preuve de charisme et d’ambition. Mais tout de même… Tu ne t’attendais pas à ça. Tu en serais presque… déçue… A quoi donc peut bien penser Sora ? Quand tu entends un claquement de main en direction de ton maître, tes pupilles perçantes se hâtent sur lui, tentant de déchiffrer son expression. Tu as envie de faire confiance à Sora, mais toute cette situation te fait presque l’effet d’une mauvaise blague. Il n’oserait pas te mentir pour te tester, si ?

La question de la flamme revient sur le tapis. De nouveau, une tension naît au creux de ton ventre. Certes, il t’a dit que ça lui allait, mais tu n’as pas envie que Sora ramène sur la table ton désastreux pétage de plomb en sous-vêtements, surtout pas devant ton nouveau supérieur. Tu ne sais pas encore à quoi t’attendre avec cette demoiselle, mais naïve ou pas, parrain ou pas, tu n’as pas envie qu’iel connaisse cette partie de toi.

*Pitié n’en parle pas. Pitié n’en parle pas.* Te surprends-tu à penser, alors que tu fixes avec détermination ton mentor.
Pendant une fraction de seconde, tu frôles l’arrêt cardiaque en pensant qu’il va effectivement en parler. Pendant une autre fraction de seconde, tu flippes également à l’idée que ce ne soit pas ton mentor qui se charge de ton entraînement. Bien sûr, tu ferais ce qu’il y a de mieux pour devenir une gardienne digne de ce nom mais…  L’idée que Sora ne s’occupe plus de toi… Ça te fait quand même un peu chier.

Une pointe de victoire s’élève en toi quand tu apprends que ce ne sera pas le cas. Et que Sora considère que ce désastre ambulant en sous-vêtements n’est effectivement pas représentatif de ce que tu es. Cependant, tes yeux se plissent en entendant la suite. Tu luttes contre ta propre gêne, et préfères garder une expression humble, mais au fond de toi, tu mitrailles Sora à coup de mauvaises ondes. La plus belle des anges hein ? Et puis quoi encore ?! Maintenant c’est sûr, il doit le faire exprès pour t’emmerder. Tu ne vois que ça. Il est beaucoup moins à même de chanter tes louanges, d’habitude.

La parole te revenant, tu t'éclaircis la gorge, balayant ainsi le compliment indirect, puis reprends une posture plus droite, plus solennelle.

-Si vous estimez que c’est pour le mieux, je ne vois aucune raison de refuser.

La discussion semble close, et ni ton maître, ni ton supérieur ne semblent avoir quelque chose à ajouter. Alors tu te lèves gracieusement, posant tes yeux clairs sur tes deux interlocuteurs.

-Dans ce cas, s'il n’y a rien à ajouter, je vais de ce pas informer ma famille de notre entrevue, et du futur sponsoring pour le festival du lycée Namimori.

Un brin de complicité luit dans tes yeux. Le menton haut, tu pivotes doucement vers ton mentor et t'inclines respectueusement.

-J’attendrai notre entraînement avec impatience, Sora-San.

Et enfin, tu te tournes Yuri, détaillant ses traits juvéniles comme pour y chercher des réponses. Qui sait ce que te réserve cet étrange personnage, maintenant que tu es sous ses ordres. Au fond de tes pupilles luit une étincelle de défi.

-Je serais ravie d’échanger plus en détail avec toi sur l’avenir de notre accord, dans un futur proche.

De nouveau, tu t’inclines bien bas.

-Si jamais tu as besoin de moi pour quoi que ce soit, Yuri, n’hésite pas à m’appeler.

Et vos formules de politesse échangées, tu repars en direction de ton manoir. Tout le long du trajet retour, tu anticipes déjà tout le travail que tu vas devoir faire. Pour les cours. Pour le festival. Pour ta famille. Pour ton entraînement.

Ça y est. Ton objectif depuis le début de cette foutue année est arrivé à terme.

Tu vas enfin pouvoir passer aux choses sérieuses.