Les mots résonnèrent autant à ses oreilles qu'à son coeur. La vague qu'il sentit déferler sur lui à cette simple phrase, loin de l'engouffrer dans les tréfonds de leur monde, le caressa doucement, l'étreignit chaudement dans un cocon. Il sentit tous ses nerfs se détendre, tension et fatigue évaporées.

Il l'avait entendu. Il l'avait entendu et avait fait écho à ses sentiments.

Malgré tous ce qu'ils avaient vécus jusque là, qui n'aurait en rien pu être simulés, cette simple affirmation, résonnant encore sur les murs probablement estomaqués de leurs démonstration, ce cri du cœur avait fait s'envoler le moindre ion de doute qui aurait pu subsister en lui.

Comme soudain libéré de son propre poids, ses traits se détendirent, d'abord dans une neutralité béate, avant qu'il ne fonde dans ce qui devait être son sourire le plus grand, le plus vrai et le plus doux qu'il ait jamais laissé voir.

Il ne sentit pas ses paupières se refermer paisiblement, son corps le lâchait alors qu'il s'étendait au ralenti, aussi léger qu'une plume, sur la glace qui lui parut aussi confortable que de la neige fraîche. Il n'entendit pas le raffut précipité qu'il y eut pour le transporter hors de la scène, vérifier qu'il n'avait rien de grave, s'il s'était fait mal dans sa chute.

Il n'entendait que leur monde, leurs cœurs battants à l'unisson, et la voix d'Arun. C'était tout ce qui lui importait.


Il n'y avait pas de mot pour décrire ce qui venait de se passer. S'il devait en chercher, il y passerait sûrement dix vies sans en ressortir satisfait. Harushige était à bout de souffle avant de s'en rendre compte. Transporté malgré lui dans la danse de cet enfant dont il s'était occupé depuis sa naissance, et qui avait pourtant su dépasser toutes ses espérances.

Mais loin d'être simplement fier et impressionné par son exploit, il ne parvenait à être autre chose...Qu'estomaqué. Comme si ses capacités de compréhension lui avaient été volées. Il avait suivi Aoi, physiquement incapable de le quitter des yeux, et s'était retrouvé à se tendre en même temps que lui, appréhendant chaque mouvement comme si c'était les siens. Mais il savait que ce n'était pas le cas. Il n'aurait jamais été capable d'atteindre ce niveau, pas dans ses plus fols rêves. Il le savait et pourtant...

Où avait-il trouvé cette énergie, cette passion, cette...Chose, qui lui conférait de telles capacités ?

Il savait sa question sotte. La réponse était juste à côté de lui, sous ses yeux, tremblant de toutes parts, complètement déconnecté de la réalité, de cette réalité, plus plongé dans le spectacle que n'importe qui aurait pu l'être. Un spectacle qui lui était dédié.

La musique s'arrêta presque trop vite, alors qu'il voyait Aoi s'incliner trop bas, la respiration sifflant si fort qu'il pouvait l'entendre de là où il était. Mais là n'était pas ce qui l'inquiéta le plus; il voyait ses tremblement, son regard absent, son expression si désespérée alors qu'il s'avançait- vers eux ?! Mais que faisait-il ?! Il devait quitter la scène, il tenait à peine debout ! Son cœur battait fort d'inquiétude et de panique lorsqu'il le vit s'accrocher à la barrière qui le séparait d'eux- idiot, qui le séparait de lui, il n'existait plus dans son monde pour l'instant. Il décida de ne pas prendre en compte la boule qu'il sentit se former dans sa gorge.

Le cri résonna. Si fort qu'il en eut les tympans vibrants. Une réponse assourdissante pour une déclaration muette. N'en pouvant plus, il ferma les yeux. Ce qui se déroulait devant lui était presque indécent, tant c'était intime.

Il ne rata cependant pas l'expression de béatitude de son neveu.

Aoi en était donc arrivé là, il s'était épris à ce point de ce chanteur. Et la réciproque ne saurait être moins intense.

Pendant un instant, il se sentit totalement impuissant.


Une lumière trop blanche filtra de ses paupières papillonnantes, alors qu'il rouvrait timidement les yeux. Amorcer le moindre mouvement le lança terriblement. Que c'était-il passé ? Tout était flou...

Il entendit une voix s'adresser à lui, plus calme qu'il n'aurait cru. Elle lui demandait s'il allait bien, s'il avait mal quelque part. Il pinça les lèvres et opina de la tête. Il avait mal, mais il avait immédiatement reconnu que c'était des courbatures; extrêmes, comme il n'en avait connu depuis des années, mais seulement un effet de l'effort fructueux.

Fructueux... ? Il, il était au milieu d'une compétition, non... ?

Il se releva, malgré la douleur lancinante, mais au lieu de protestation, il reçut un grand verre d'eau avec une paille, entre les mains. La fraicheur lui fit du bien, étrangement, malgré sa sueur qui l'avait refroidit. Mais peut-être avait-il un peu de fièvre. Il s'était évanoui, visiblement, pourtant il ne se sentait pas malade.

Il but, sagmeent, à défaut de savoir quoi faire dans l'immédiat. Il avait encore un peu de mal à tout relier. Une compétition... Au vu de l'ambiance qu'il pouvait sentir autour de lui, c'était effectivement le cas. Au vu de son état, et la façon dont il était traité, il devait avoir passé son tour. Il ne connaissait pas encore les résultats, et...

Et pourquoi avait-il l'impression qu'ils étaient si importants, ces résultats ?



« Et si tu gagnes... je te parlerai de quelque chose. »



La phrase lui revint en flash, et tous le reste à sa suite. Un vertige manqua de le faire vaciller, avant qu'il ne se reprenne promptement. Une tension soudaine le prit, alors que les émotions l'envahissaient à nouveau. Sa déclaration, la réponse d'Arun, le monde qu'ils partageaient, qu'il avait réussi à palper...

Etait-ce ça, qu'on appelait l'excitation ?

Il se leva après une grande inspiration. Il réalisa qu'on lui avait fait porter sa veste, , le protégeant du frisson qu'il avait senti le menacer à la première brise. Ses cheveux étaient lâchés, mais il ne prit pas la peine de les arranger. Au moment où il voulut sortir, il réalisa qu'il était dans une pièce du bâtiment qu'il ne connaissait pas. Par où était-il sensé passer-

La gauche, tout droit, avant de monter une rangée d'escaliers et de cette fois passer à droite. Il se tourna vers la voix qui l'avait réveillé, et qui ne lui adressa qu'un simple sourire.

« Il t'attend, le pense. »

Il hocha la tête, reconnaissant, et fila. A gauche, tout droit, puis monter une rangée d'escaliers et tourner à droite. Il passa sans hésitation la porte qui se présenta à lui, et le vit. Là, à quelques mètres à peines de lui, sur les plus bas gradins, au plus proche de la glace.

Il voulut crier son nom, mais sa voix refusa de se manifester. Il se contenta de courir vers lui, esquivant comme il pouvait les spectateurs entre eux, avant de se jeter sur lui, peut-être un peu fort, et de l'enlacer dans ses bras, fort, fort. Son esprit était à nouveau vide de réflexion, mais au lieu de la transcendance de plus tôt, seule la chaleur de leurs deux corps réunis occupait son esprit. Une simple étreinte, dont il avait eu autant besoin que de respirer.

Il était resté inconscient une dizaine de minutes environs, le dernier participant était passé derrière lui, avant que les résultats ne soient annoncés. Il était sorti vainqueur. Mais pour l'instant, Aoi ne pouvait trouver la force de chercher à le savoir.