Caractère

Ceux qui ont eu l'occasion de croiser Aoi diraient qu'il est au premier abord quelqu'un de froid, d'inexpressif, voire d'hautain. Toujours à se tenir droit, à regarder les autres comme s'il valait mieux qu'eux, avec ses beaux scores et ses cheveux assortis à sa choré.

Aoi en était bien conscient, mais il ne voyait aucun intérêt à y prêter plus d'attention, nullement touché par ces remarques. Il n'avait pas appris à mesurer sa valeur selon l'estime qu'ont les autres de lui; ils avaient leurs raisons de le traiter ainsi et il ne s'y intéressait pas.

Sa vie était guidée par une liste de préceptes qu'il suivait à la lettre; non tel un aveugle mouton, mais bien parce qu'il comprenait le sens derrière chacune d'entre elles. Il les savaient rigides, comparément au style de vie moderne, une liste interminables de règles obsolètes d'un temps passé, mais Aoi ne les suivaient pour personne d'autre que lui-même et ceux auxquels il tient; il ne les imposait à personne, soulignant la pertinence de l'une d'elled à certains moments, sans plus s'expliquer. Il ne s'impliquait généralement pas plus que ça dans une conversation qui ne lui était pas directement adressée.

En plus de ne pas être bavard, il lui arrive souvent de marquer une pause avant de parler. Ce n'est pas par manque de vivacité d'esprit, mais bien parce qu'il prend le temps d'être sûr de ce qu'il avance, peser chaque mot pour être direct, concis et clair, et ce en n'importe quelle situation. Il est très désagréable d'être mal compris, et regrettable de causer du tort par un mot pauvrement choisi. Il ne faut pas prendre ses propres paroles à la légère.

Son stoïcisme a aussi tendance à destabiliser ses interlocuteurs, ces derniers confondant entre inexpressivité et antipathie. Il est parfaitement capable d'avoir des amis, il n'en a simplement pas encore rencontré, ni vu un intérêt quelconque à en avoir absolument. La solitude n'est pas un problème pour lui, les véritables amis se présenteront d'eux mêmes lorsque le temps sera arrivé. Il n'était pas pressé.

Aoi est également conscient qu'en tant qu'héritier direct, il est un représentant du Temple Hisui, et il l'arbore avec honneur. Son oncle veille à ce que son origine soit toujours citée lors de sa présentation avant chaque prestation. Un temple perdure s'il est visité, et tant que le moyen est louable, toute promotion est la bienvenue.

Le patinage artistique est d'ailleurs ce qu'il pourrait qualifier de passion, bien que que son oncle lui ait enseigné qu'être passionné pouvait causer du tort, il se contentait du fait que pour l'instant, cette passion nourissait un objectif sain qui aiderait son corps et son esprit à s'élever. Si un jour cela devenait maléfique, il arrêterait promptement....Probablement. Il ne voulait pas y penser. Il n'y avait aucune raison.

Pour l'instant son attention et concentrée sur ses études et la compétition nationale des Seniors, laissant peu de place à quoi que soit d'autre. Pas qu'il y ait autre chose de toute façon. Du moins pour le moment...

Histoire

'Ne pas collaborer avec le Mal.'

Un temple enneigé en toile de fond de ses premiers souvenirs. La chaleur des bras d'un parent, la chaleur dans ses lobes d'oreille, la douce buée à chaque souffle, le temps silencieux, ralenti. Sa voix fluette d'innocence qu'il ne faisait résonner qu'occasionnellement. Une étrange sensation au cœur.

'Suivre la Voie Vertueuse.'

La succession des saisons. L'éphémère d'une fleur, l'absence d'un père, l'omniprésence d'un oncle, le réconfort d'un frère. La disparition d'une mère. Disparition qu'il n'admettait pas, ne comprenait pas, ne supportait pas. Son cœur lui faisait mal.

'Se tenir convenablement. Ne pas se hâter. Ne pas hausser la voix.'

La civilisation moderne avait un goût de rêve irréaliste, si loin de tout ce qu'il avait connu toute sa brève vie. Une visite à la patinoire ; son frère en avait fait la demande, Oncle avait accepté. C'était son anniversaire.

Glisser sur la glace lui avait semblé proche de l'inné, la vitesse obtenue pour un simple mouvement manquant de lui couper le souffle au premier essai. Il s'était retourné nombre de fois vers Oncle pour voir s'il pouvait se permettre tel ou tel mouvement ; il ne tenait pas droit, il allait vite, et parfois un glapissement manquait de lui échapper, trois règles qu'il transgressait sans discrétion devant celui qui avait veillé à les lui inculquer depuis sa naissance. Mais Hisui Harushige ne disait rien, se contentant de l'observer depuis les gradins. Xuan l'avait applaudi, se permettant une exclamation d'encouragement qui fit rougir les oreilles de son cadet.

La sensation s'apaisait, sans disparaître.

'Ne pas dénigrer. Ne pas jalouser. Entretenir le corps et l'esprit.'

Une simple question, demandée sérieusement, sans détour, à laquelle il répondit positivement. Et le revoilà sur la glace, à nouveau dans ce rêve qui semblait progressivement plus palpable. Cette fois Oncle était près de lui, lui instruisant des mouvements et des postures qu'il s'appliqua à suivre.

Il n'avait jamais si étroitement attaché ses cheveux. Une légère douleur à laquelle il s'habitua vite.

'Avoir des victoires et des défaites.'

Il continuait d'apprendre le Qin, la méditation et l'occultisme, comme le voulait la tradition du Temple. Mais la moitié de son temps libre était passé patins aux pieds. Oncle avait réarrangé son emploi du temps, décalant ses cours pour pouvoir l'entraîner.

A sept ans, il gagna sa première médaille d'or catégorie Novice. Son frère lui avait offert un gâteau, son Oncle se contenta d'hocher la tête. Et Aoi le prit comme une victoire personnelle.

'Ne pas rompre de promesse.'

Le public acclamateur sonnait toujours sourd à ses oreilles bourdonnantes après l'effort. Il progressait à grande vitesse, d'après les professionnels. C'était attendu d'un entraînement tel que celui qu'il suivait, Il n'aurait pas pu en être différemment. Il continua de viser la première place de chaque compétition, travaillant assidûment, guidé intelligemment par Harushige. Il gagnait plus souvent qu'il ne perdait, son talent et ses efforts étaient reconnus. Aoi ne savait encore comment le vivre ; il se contenta de continuer.

'Ne pas être excessivement triste.'

Une ambulance attendait devant le temple ce soir-là. Xuan accourut et le prit dans ses bras, sans rien dire. Aoi comprit plus tard que c'était pour l'empêcher de voir leur Père. Oncle lui laissa une journée pour prier et se recueillir avant de reprendre l'entraînement. Il ignorait si lui-même lui en voulait ou le remerciait. Son cœur cautérisait.

'L'apprentissage vient avant tout.'

Harushige parvint à l'inscrire au prestigieux lycée de Namimori, malgré une année d'avance; il avait le niveau requis et avait passé son brevet avec brio. Sa première expérience dans un établissement public, un déménagement loin du Temple et de Xuan, resté pour y veiller, et sa préparation à entrer dans la catégorie Senior promettaient à Aoi une année chargée, mais il y était préparé.

En revanche, il n'était sûrement pas prêt à tout ce qu'il allait trouver dans un lycée, si loin de tout ce qu'il avait connu toute sa brève vie...