Breathe - Pink Floyd:

-Mademoiselle…. Vous ne voulez pas manger ?

Ta silhouette sur ton lit ne répond pas à la question d'Emma. Tes cheveux lisses sont étendus autour de toi en filament de jais. Ta tête repose contre le mur.

Tu refuses. Tu refuses juste que ça soit la vérité. C'est non. Tu t'enfermes tant dans cette cause perdue que tu n'en bougent plus. Seulement il s'est déjà écoulé 24h, et ça ne va pas mieux.

A cause de lui…
Tu sers les dents.
A CAUSE DE LUI !!!

Tu lances ton poings dans le mur avec un cri de rage. Puis l'autre. Puis l'autre. Tu martèles le mur, alors que des larmes roulent sur tes joues. Tu rugis comme un animal sauvage. Un animal blessé. Ta fureur dévale sur ton mur blancs.
Puis, ta rage déversée, tu reposes mollement ton front contre le mur, haletante, épuisée. Tes mèches dévalent sur ton visage.

-Espèce de connard.

Pourquoi les gens que tu aimes finissent toujours par te décevoir ?
…
…
…
Est-ce que c’est vraiment toujours les autres, le problème ?

-Ta gueule.

Tu te redresses. Lasses. T'as envie de sortir.

Et de pas croiser tes geôliers. T'as juste envie qu'on te foute la paix. Alors tu te lèves, mets un simple hoodie noir pour protéger de l'air frais du soir. La capuche rabattue, tu t'engages dans les couloirs de ta prison.

Tu esquives les employés dans les grandes pièces. Les cuisiniers, les officiers de sécurité. Tu te diriges vers la porte de derrière, pour les employés. Moyen d'escalader avec les poubelle à l'arrière de la demeure.

Sauf que tu tombes sur Akiko, une des femmes de ménage.
Celle-ci fixe ton hoodie l'air égal. Puis elle regarde la porte de sortie, semblant comprendre. Tu la fixe, le visage fatigué. Si elle appelle les gardes, tu reviendras dans ta chambre. T’as ni l’énergie ni l’envie de te battre.

Seulement elle te fais un petit regard, avant de reprendre son ménage, comme si elle ne t'avait pas vu.
Avec une pointe de reconnaissance -douloureuse- tu profites de l'opportunité et sors calmement. Il fait sombre. Tant mieux. Sans te presser ni te stresser, tu grimpes sur la large poubelle, puis passe par dessus le muret snob qui entoure toute ta résidence. T'as développé du muscle. Tu le sens quand t'utilises tes bras pour te retenir, alors que tu te laisses glisser contre la pierre.

Tes pieds heurtent le sol. Tes jambes se plient sous ton poids. Tu te redresse, regardant calmement si personne ne t'as vue en train de sortir. Mais personne n'est là. C'est juste toi et le monde. Une brise semble caresser ton visage. Tes poumons se gonflent. C'est comme si c'etait la première fois que tu sentais l'air sur ta peau. Comme si c’était la première fois que tu respirais…

Tu mets tes écouteurs. Tes artistes t'accompagnent comme ils t'ont toujours accompagnée dans les moments compliqués. Comme tout le temps, en fait.

Et tu marches dans la nuit noire, sans trop savoir où aller. Sans vouloir aller nulle part en particulier. Tu te poses sur un banc, sur un rebord de route. Tu fais rien de spécial. T'es juste là.

Sans obligations.
Libre.

Et pleine de questions.




-… Ce qui a du sens pour moi…  souffles-tu pour toi même.

Breathe - Pink Floyd:

Tu relèves tes yeux fatigués sur la nouvelle venue. Tu la dévisages quelques secondes, te demandant sincèrement qui est cette meuf.
Puis ça te revient. C’est la prof de boxe. Celle qui t’as donné son numéro à la fin de la séance et que t’as jamais rappelé.

…

D’ordinaire, tu aurais pesté, ne serait-ce que mentalement. Toute conversation qui n’était pas attendue était indésirable. Une perte de temps.
C’était vrai jusqu’à hier.

Tu la laisses un peu seule avec sa question, tout simplement parce que tu sais pas quoi dire. C’est ta première vraie sortie où tu dois rien à personne, si ce n’est à toi-même. Ou tu peux dire ce que tu veux sans te soucier des conséquences.

Un milliard de possibilités, de mensonges, d’omissions. Mais ce soir, t’as décidé que tu ne ferais pas ça. Pas envie.

-J’ai fugué de chez moi, réponds-tu simplement.

Breathe - Pink Floyd:

Est-ce qu’elle va t’arrêter ? Appeler la police ? Tes parents ?
Nop. Elle n’en a rien a battre.

-Ouep, ça fait du bien.

Tu la regardes. Et tu la voies. Vraiment. Tu te rends d’à quel point tu t'adresses aux gens sans vraiment les voir, d’ordinaire. Sans faire attention à eux. Mais là, tu prends le temps de prendre sa présence en considération. Le grain de sa peau mat, ses mèches collées à ses tempes, les muscles qui se dessinent sous ses vêtements de sport. Elle est stylée. Belle aussi. Pas dans les critères de la plupart des gens, mais toi tu la trouves belle. Si t’avais pu choisir une apparence, ça aurait probablement été plus la sienne. Toi, ton corps est longiligne et fin. Ah ça, c’est magnifique pour les shootings. Tu es l'apogée de la beauté du vingt et unième siècle. Il n’empêche quand si le monde venait à être attaquer demain, et que l’argent n’avait plus de sens, tu aurais moins de chance de survie qu’elle. Moins de force pour protéger les gens.

… Puis protéger quels gens ? Elle doit sûrement avoir pleins de personnes dans sa vie, elle. Elle a l’air d’être le genre de personnalité magnétique qui fait du bien aux autres.
Son air devient joueur. Elle le fait tellement facilement, t’es presque jalouse. Toi tu ne t’ai que rarement autorisé ce genre d’air.

-Et si c’est le cas ? demandes-tu avec un air de défis.

C’est son ton challengeant, là, ça te donne envie de jouer sur le même registre. Mais bon, tu perds ta niac rapidement. Sans dire que ça t’accable, tout ce qui t’arrive en ce moment est suffisamment lourd pour t'ôter ton envie de jouer. Tu joins les mains sur tes genoux, détournant un peu la tête.

-Ma vie est pleine à craquer en ce moment, j’ai juste envie de souffler.

Par contre, t’as l’air d’avoir envie de vider un peu ton sac.

-Je sais plus où j’en suis avec à peu près tout, donc respirer l’air frais, ça me fait du bien.

Vis à vis de la mafia.
Vis à vis de tes parents.
Vis à vis d’une des rares personnes que tu considérais comme faisant partie de ton cercle.
Cet entrainement avec ton putain de mentor à fait s’effondrer tellement de truc. T’as pas envie de te torturer à essayer de trouver une solution, des réponses ou un échappatoire. Juste respirer.

Breathe - Pink Floyd:

Elle est vraiment stylée. Ton regard la quitte pas alors qu’elle s’assoit. La vie a l’air simple pour elle. Ptetre qu’elle l’est pas. La plupart des gens cachent bien leur jeu. C’est souvent le problème.
La question te fait tourner les yeux vers la route.

-Ouais, vas-y, fais comme tu veux.

Tu prends une inspiration, puis une autre. C’est le bordel dans ta tête, mais en même temps, c’est limpide. Ça a aucun sens. C’est toujours complexe les émotions, putains.
Tu prends une nouvelle bouffée d’air, en haussant un peu les épaules.

-Bah…

Les mains dans tes poches. Ramener ce qu’il s’est passé à ta conscience est désagréable. Mais t’es pas du genre à fuir. Enfin… C’est l’impression que t’as en tout cas. Rien ne semble plus certain, de toute façon.

-Quelqu’un en qui j’avais confiance m’a fait un coup de pute. C’est un connard de manipulateur et de stalker. Et il m’a …

Dur de décrire exactement ce qu’il s’est passé sans passer pour une tarrée.

-On va dire qu’il m’a mise face à des trucs que j’avais pas envie de voir, et maintenant je sais plus où j’en suis. J’ai l’impression que toute ma vie est basée sur un mensonge et que plus rien n’a de sens.

T’as même pas réfléchis sur si c’était une bonne idée de parler ou pas. T’as juste parlé sans filtre. Ça fait du bien.

Breathe - Pink Floyd:

-Fuir.

C'est le premier truc qui t'est venu. Un truc que t'aurais jamais ne serait-ce que conçu auparavant. Fuir est une faiblesse que tu ne t'es jamais autorisée.
Mais maintenant que tu l'assumes, tu te sens forte.

-J'veux me barrer de cette maison. Je veux me barrer de ce truc que tout le monde attend de moi. Le reste, je sais pas.

T'as pas grand chose qui t'attire ou qui te retient. Au point que t'as une autre envie qui te vient, plus inavouable.

Qu'on te laisse mourir tranquille.

Tu détournes les yeux. Ça, tu veux pas lui dire.

-J'ai pas grand chose qui m'appartient.

Tes yeux fixent un caillou sur le rebord de la route. "Maintenant que t'as cassé ta prison". Ouais… ptetre bien. T'as une colère profonde envers ce connard à mèche bleue, mais… Au final, les faits sont là. T'es sortie de chez toi pour la première fois de ta vie. Tu parles à une meuf sans arrière-pensées pour la première fois de ta vie. Tu la trouves classe sans la juger pour la première fois de ta vie.

Pour la première fois de ta vie, t'as effectivement cassé ta prison.

Est-ce que c'était le fait de Sora ? Est-ce que ce maniac était arrivé à ses fins ?

-.... Pourquoi les gens en qui tu donnes ta confiance finissent toujours pas te trahir ? Demandes-tu d'un air égal.

Ça y est. On y est. Le sujet qui fâche.