C’était une de ces soirées banales : pas de délits, pas de plaintes, pas de complaintes. Bref, une journée paisible dans toute sa splendeur. Chose qu’Oswald commençait à qualifier comme son quotidien. L’ambiance de ce pays différait très fortement du tumulte polonais à ses commencements. Cependant, il ne voulait pour rien au monde troquer sa place à quelqu’un d’autre. Sa venue au Japon était motivée par son désir de retrouver des traces, infimes soient-elles, des responsables de la chute de son père, et de sa vie dérobée.

Le soir approchait, et la fin de service du policier arrivait. Il ne pouvait pas se permettre de faire des heures supplémentaires, il fallait bien que comme tout le monde, il ait le droit à un peu de repos. Or, c’était mal le connaître. Il gardait toujours de quoi s’enquérir et de rester joignable en cas de renfort pour ses autres collègues. Ainsi, fermant soigneusement le poste, il marcha seulement quelques mètres pour se retrouver à une petite cage d’escalier, et monter à son petit lieu de vie. Tour rapide du mobilier, il possédait le strict minimum : table, deux chaises, un petit buffet où posait un mini-téléviseur. Un lit pliant ainsi qu’un petit frigo, un plan de travail et de quoi cuire des aliments sur un feu. Les sanitaires étaient ce qui existait de plus simple dans cette région. Il alluma par réflexe la boîte à troubadours, pour laisser faire les infos dicter les actualités diverses du jour. Rien de notable, le blabla habituel en fin de compte.

Se laissant allongé sur le matelas, il ferma les yeux un instant, et commença doucement à sombrer dans un sommeil, avant qu’un bruit parasite, si l’on pouvait dire ainsi, le réveille. La radio interne de la police retentissait, donnant des indications de renforts : en clair, une fête clandestine battait son plein, et par plainte d’un voisin, plusieurs personnes devaient être sollicités pour intervenir. Il n’attendit pas plus d'explications qu’il attrapa l’appareil, enfila sa tenue de fonction, et prit vite la direction de l’endroit cible. Par chance, un collègue le ramassa avec son véhicule, lui permettant de couvrir la distance restante.

Bien avant l’arrivée, il ne pouvait pas voir, mais l’intensité sonore grandissante : une musique électro bien rythmée allait être la musique qui allait cadencer les arrestations. Oswald, bien sûr, en sa qualité de force de l'ordre, devait faire respecter les plaintes d’un voisinage peu enclin à du tapage nocturne, même si la musique n’était pas un mélange immonde. Au contraire, ce n’était certes pas ce que le Polonais écoutait, mais il y avait bien pire comme fêtes clandestines, car à leur arrivée, pas de foule en hystérie qui fuyait dans tous les sens. Non, juste. Personne. Juste la musique qui retentissait dans tout le bâtiment. Le lieu, une usine désaffectée, s’était fait relooké de l’intérieur à la sauce UV Bleu.

Malgré l’intensité sonore, certains des policiers commençaient à boucler le périmètre. Oswald, quant à lui, se proposa d’aller contourner le lieu. Il fallait bien fermer la boucle pour aller au plus loin. Il trottina à bonne vitesse pour arriver au croisement. Aie, il y avait une chance sur deux de prendre le bon côté, mais alors qu’il restait quelques secondes pour prendre la bonne solution, une porte s’ouvrit, d’où une personne féminine en sortit, dans une tenue fort extravagante aux couleurs violet néon. Elle semblait très hâtive. Paniquée ou excitée, tout ce qui sortait du périmètre devait être interpellé, interrogé, et traité d’une manière exemplaire. Sans attendre plus longtemps, il souffla dans le petit sifflet de police, un petit tube fin en acier inoxydable, avant de s’exprimer. Entre temps, ses collègues aurait entendu le son de l’instrument, si ce n’est qu’il serait couvert possiblement par l’ambiance sonore. Le son de la fête s’échappait de la porte ouverte par la suspecte.

“Au nom de la Police de Namimori, je me dois de vous arrêter pour vous interroger. Ne faites rien d’idiot, car la force sera employée seulement en cas d’extrême nécessité.”

Il était complètement sincère. S’il avait fui la Pologne, cela était aussi pour échapper aux nombreuses fois où il a dû avoir recours à son arme à feu pour intimider ou se défendre. Au Japon, il fallait malgré tout l’avoir sur soi, mais son utilisation était restreinte à l’absolu. Seulement un cas ultime de défense, en réponse équivalente à l’agresseur, devait être apporté. Pour le moment, la personne ne semblait pas armée. Oswald pourrait faire une erreur de jugement, mais le bénéfice du doute pourrait l’emporter ?

À l’interpellation, l’inconnue semblait plutôt détendue. Il glissa très légèrement sa main dans une de ses poches. Par réflexe, Oswald se préaprait au pire. Beaucoup de personnes ne voulant pas coopérer en faisant ce mouvement, pouvait vite tourner au vinaigre la situation. Préparé, mais pas assez, elle en sortit une boite pour comme s’enfourner un bonbon dans sa bouche. Le seul instant de confusion suffisait à faire relâcher la garde du policier, avant que la personne face à elle déclenche comme un dispositif caché : une lumière éblouissante surgit, et frappa de sa lumière éclatante les yeux du Polonais. Au seul moment de sa faiblesse, elle en avait profité pour vite utiliser son artifice.

Fermant les yeux par réflexe, il ne pouvait plus apercevoir quoique ce soit, et malgré ces yeux impactés, ses oreilles restaient assez fonctionnelles, et peut-être même les autres sens. Cependant, une fois qu’il put voir un peu mieux, il se rendit vite compte que l’inconnue s’était volatilisée de son champ de vision. Regardant avec vitesse ses alentours, il essaya très rapidement de relever un indice pouvant démarrer sa course-poursuite. Au loin, malgré l’obscurité de la nuit, il pouvait voir comme de légères couleurs s’engouffrer dans les bois.

“Mince ! ”, s’écrit-il avant de se lancer à sa poursuite, “Si je la perds, je passerais pour un bleu ! ”

L’idée de se sentir humilié de la sorte, de s’être fait avoir en beauté, frustrait l’homme. Jamais il ne s'était fait distancer de cette façon, à croire qu’il avait encore beaucoup de choses à connaître, surtout dans ce nouveau pays.
Cependant, une fois dans l’endroit boisé, rien ne pouvait plus l’orienter : pas d’indices colorés, pas de marquages, et seulement muni de sa lampe-torche, il chercha du mieux qu’il pouvait. Ne croyez pas que des traces fraîches pouvaient être visibles sur le sol, à la manière d’une série d’enquêtes blockbuster, mais rien. Nada. Pas l’ombre d’une présence humaine à part lui-même. Cependant, il était loin le jour où Oswald abandonnerait facilement.

Essayant de se frayer un chemin praticable, il essayait de se mettre dans la tête de la fuyarde : le chemin optimal, le moins gênant, le moins pourvu d’objets au sol naturel qui pourrait trahir sa trace. Il devait se compliquer la tâche sûrement, mais qu’on s’attend au pire de tout, il fallait redoubler d’efforts et de roublardise quand on faisait face à une experte de la fuite. La pensée d’avoir été ébloui le remettait légèrement en rogne, avant qu’un bruit de craquement de bois coupa sa course.

Ni une ni deux, il pivota vers la direction du bruit et s’élança, avant qu'un deuxième craquement confirme l’endroit. Cela fit sourire le jeune homme, car il allait pouvoir enfin rattraper sa criminelle. Il avait été gentil et avenant à son départ, à présent, il allait changer de tactique d’approche : avec un équipement limité, la créativité devait être à l'œuvre.

Approchant à grande vitesse de la destination, sa lampe de poche illumina l’interpellée, qui semblait s’être arrêté, mais son regard se vit par-dessus son épaule. Il commençait à ralentir, mais pointant toujours son objet lumineux vers elle.

“Malin, votre truc, maintenant, arrêtez-vous. Cela n’arrangera pas votre cas de fuir.”

Il semblait que les mots d’Oswald eussent eu un bon effet : la présumée responsable se retrouvait d’une position agenouillée à une position face à lui. Le visage éclairé par son luminaire, elle devait être éblouie et les contours de son faciès ne devaient pas être visibles à ses yeux. Lui, cependant, pouvait observer en plein jour la jeune femme : sa peau n’était pas celle d’une Japonaise, à moins qu’elle avait passée plus d’un jour dans un autobronzant, auquel cas, on ne pouvait pas avoir une carnation aussi atypique. Enfin, c’était assez mal venu de sa part, lui-même étant un étranger dans les terres au pays du Soleil levant. De plus, elle semblait déguisée, ou en train de cosplayer, un terme qu’il avait appris dans son court terme d’apprentissage en situation réelle, et non pas dans ses cours. Bref, dans un terme général, il n’avait pas une personne qu’on qualifierait de “normale” dans une norme de société, surtout au Japon, un pays très carré sur les codes vestimentaires et que si le clou dépasse, on essayait souvent de lui donner un coup pour qu’il rentre dans les rangs. Les gaijin, comme ils les nommaient, échappaient à ce conformisme.

Soit dit passant, il fallait revenir à la situation actuelle. L’air se faisait de plus en plus frais, minuit approchait doucement, et le Polonais savait que le lendemain, même s’il allait pouvoir prendre un jour de repos, il aurait bien voulu se coucher tôt, mais l’imprévu est le suivant : il a dû intervenir pour aider ses collègues, entamer une course-poursuite contre l’inconnue, et finalement, se retrouver à seulement trois ou quatre pas d’elle pour… Discuter ? Elle semblait bien plus coopérative d’un seul coup.
Oswald, par méfiance, fronçait les sourcils, et s’attendait à un nouveau coup fourré de sa part. Il envisageait toujours le pire, cela lui permettait d'être réactif dans l’ensemble. Or, à nouveau, il fut surpris de ses gestes. Retirant les gants qu’elle portait, il tenta tant bien que mal de garder son regard sur le visage de la femme. À cette distance, elle pouvait voir mieux son visage, si la lumière ne continuait pas à l’éblouir. En réponse à son intention pacifique, il réduisit l’intensité lumineuse de sa lampe-torche.

Elle avait l'œil vif et l’esprit perspicace : elle avait vu juste en disant que c’était bien un arrivé dans la ville de Namimori. De plus, il apprit ainsi l’identité de sa locutrice, se présentant comme une personne au service d’un certain Monsieur Sutton. Arquant un sourcil, il se disait que ce nom… Lui disait absolument rien. Une célébrité ? Un chanteur ? Un acteur ? Il n’avait pas entendu ce nom quelque part, ou peut-être une ou deux fois.
Elle rangea alors ce qu’elle avait retiré de ses mains, avant de lâcher un juron bref et soudain. Il semblait qu’elle ait perdu son téléphone portable lors de sa tentative d’échappée. Et cet appareil pouvait constituer une preuve possible pour l'enquête policière. Par intérêt, il s'exprima face à la personne.

“Allons retrouver votre portable. Retraçons à l’envers le chemin que vous avez pris pour me semer. C’est fort probable qu’on tombe dessus d’une façon ou d’une autre.”

Faisant signe qu'il était prêt à la suivre, il attendait sagement qu’au seul geste de travers qu'elle effectuerait, il serait à seulement deux enjambées pour s'élancer sur elle et la maîtriser. Mais si elle gardait son calme, et qu'elle continuait à coopérer, il allait pouvoir obtenir l’objet, autant qu'elle voudrait le récupérer par-dessus tout. Qui sait, plusieurs contacts pourraient se trouver dessus, et par une infime chance, obtenir d’autres informations sur son père.