Le silence du couloir plaisait beaucoup au lycéen, qui avait la sensation d’être seul dans l’établissement. Il plongea sa main dans son cartable brun pour prendre la sacoche de son appareil photo. Il voulait faire le tri des photos prises lors du dernier événement qui sera publié dans le journal. En tant qu’apprenti photographe, il ne pouvait laisser ses partenaires de club voir les photographies sans grandes importances. Il avait une réputation à tenir.

Ryota s’arrêta devant le numéro de sa classe et ouvrit la porte. Il commença à pénétrer à l'intérieur quand une silhouette non identifiée le heurte en plein torse. Il faillit tomber en arrière sous la surprise, sortant un simple :

▬ Oh

Le garçon évita de chuter contre le sol, mais il sentit sa prise sur son appareil devenir instable et lui tombait des mains. In extremis, il le récupéra, le cœur battait à tout rompre. Cependant, sa main était tellement moite qu’elle termina les quelques centimètres restant au sol, sans le moindre grand fracas.

▬ Merde…

Ryota plaça une main sur sa bouche face à l’injure qu’il venait de dire. Il prit son appareil et regarda sa camarade de classe, assise sur le cul, qui lui semblait douloureuse, en dépit de sa question

▬ Tout va bien. Il n’est pas cassé. Et toi, tu n’as pas mal.

Le garçon présenta sa main face à la camarade de classe pour l’aider à se relever.

▬ Je suis désolé. Je ne t’avais pas vu. Je pensais la classe encore vide.

Ryota tira la jeune fille vers lui pour l’aider à se relever.

Son visage rougit légèrement dans un ton à peine visible quand il réalisa qu’il donnait toujours la sensation de penser à son appareil photo qu’à sa propre douleur physique. On lui avait déjà reproché son attachement sur un objet. Or, cet objet était son véritable ami, et compagnon pour lui.

Or, quand Yuri s'intéressa à l’importance qu’avait cet appareil photo pour lui, il eut un sourire apaisé. Il le plaça entre elle et lui. C’était un petit appareil, pas très haut de gamme. Il avait un petit écran, et le zoom ne lui permettait pas d’aller bien loin. Néanmoins, il était fier de son compagnon qu’il oubliait tous ses petits défauts.


▬ C’est mon trésor, offert par mon oncle, il y a quelques années.


Sa camarade de classe lui posait tellement de questions que Ryota ne savait pas par où commencer. Son regard se porta sur l’angle du mur, celui près du tableau, en cherchant un moyen de lui répondre sans risquer de la perdre. Puis, il la regarda droit dans les yeux.


▬ J’aimais beaucoup prendre des photos avec ma famille, surtout de ma petite sœur, avoua Ryota, le sourire illuminé. Depuis que je l’ai, c’est devenu mon meilleur ami, et il m’accompagne partout où je vais. Grâce à lui, je sais que je veux travailler dans le monde de la photographie. Du coup, je l’utilise aussi pour le club de journalisme afin de m’exercer.

Le lycéen alluma son appareil pour s’assurer que l’écran n’avait rien. Il appuya sur le bouton de sa galerie de photos, montrant celles qu’il avait prises récemment en premier. Il les fit défiler.


▬ Il a l’air de n’avoir rien. Ça me rassure.

Ryota s’arrêta aux photos prises durant la rentrée des classes. Il avait photographié le panneau d’entrée des classes, ainsi que la cérémonie. Puis, il remit la fonction d'accueil où il pointa l’objectif en face de Yuri.


▬ Attends. Je ne bouge pas.

Ces mots à peine dits, il photographia sa camarade.

Ryota regarda la photo sur son appareil. Puis, il présenta l’image à sa camarade, mi-fière de sa prise. Cette émotion n’était pas née du fait que sa camarade n’était pas photogénique ni magnifique, mais il doutait que l’effet de surprise eût donné un bon résultat.

▬ Ne t’inquiète pas, je ne donne pas toutes les photos au club., rassura Ryota. Je te demanderais l’autorisation avant.

Le lycéen conclut ses mots par un sourire franc. Il ne voulait pas mettre sa camarade de classe mal à l’aise et il était loin d’imaginer tous les tracas que pouvait ressentir Yuri. Il coupa son appareil quand il entendit Yuri si elle pouvait le prendre en photo.

Ses yeux s'agrandirent en réalisant qu’elle avait raison sur un point. Il prenait effectivement des photos de ses camarades, d’inconnus ou de paysage qu’il aimait. Pourtant, il n’avait jamais pris le temps de se photographier. Bien évidemment, il arrivait que son père fasse des photos de famille, mais c’était un moment de gêne pour le lycéen.

▬ J’avoue. Je prends très peu… de photo… de moi…

La voix de Ryota s’effaça rapidement sous la révélation. Il détourna le regard, les oreilles rouges. Ce genre de réaction survint toujours quand on lui demande de se mettre devant l’objectif. Pourtant, il présenta son appareil photo pour qu’elle le fasse. Il ne voyait pas pourquoi il refuserait après l’avoir mis mal à l’aise.


▬ Fais attention quand tu le portes.

Le lycéen s'éloigna de sa camarade pour lui laisser de l’espace. Il observa la direction de la lumière afin de se positionner dans une partie de la classe où celle-ci pouvait prendre une photo correctement. Quand ce choix fut pris. Il ne savait pas quel genre de pose prendre dans un premier temps. Puis, il optait pour une pose simple qui lui permettait tout de même d'observer sa camarade.

Laissez son trésor à sa Yuri le rendait toujours nerveux. Son regard se porta sur la demoiselle. La profondeur de ses iris captura son attention. Sans s’en rendre compte, il avait agrandi ses yeux de surprise. Il ne pouvait la quitter des yeux. C’était la première fois qu’il avait ce genre de regard, loin des expressions de dégoût que provoquait son visage.
C’était la première fois que Ryota avait la tête totalement révélé depuis son intégration au lycée de Namimori.
Un clic survient.

Le flash de son propre appareil l’avait réveillé de sa torpeur. Aussitôt, il ferma les yeux pour se rendre compte des dégâts de son appareil sur sa vue. Il faudrait qu’il retire ce flash à l’avenir, s’il ne voulait pas aveugler un camarade. Peut-être n’était-il pas habitué à être de l’autre côté de l’objectif.

Ryota se releva, le dos légèrement voûté, comme à son habitude. Il s’approcha de Yuri sans la moindre hésitation et il présenta sa main pour récupérer son appareil photo.
Le franc parlé de sa camarade étonna le jeune homme. Il se mit à rougir d’embarras, face au compliment de l’adolescente. Sa bouche s’ouvrit avant de le refermer. Puis, il se mit à sourire avec apaisement.

« Il est vrai que ça serait bien. Cependant, j’aime bien être de ce côté. Je peux voir le monde comme il est réellement à travers de cet appareil. Je peux arrêter momentanément le temps pour l’observer et le comprendre. »

Ryota observa la photo prise par sa camarade. Il réalisa qu’elle avait raison. Il avait quelque chose qui se dégageait de lui dans cette photo. Il ne savait pas de quoi, car il n’avait pas l’habitude de se voir ainsi. Son visage… Cette tache de vin avait déjà provoqué tant de moqueries par le passé.

« Merci, Miharu-san. »

Ryota éteignit son appareil photo. Puis, il regarda Yuri. C’était la première fois qu’il lui parlait depuis qu’ils étaient tous les deux dans la même classe. Il l’avait bien évidemment vu, comme tous les autres. Cependant, il n’avait jamais engagé la conversation avec elle… ou qui que ce soit d’autre dans la classe.

« Je crois que ma petite sœur va être ravie de voir une photo de moi sur mon appareil. »

Le fils des Arai imaginait déjà le regard pétillant de sa petite sœur, en sachant qu’il avait parlé à une camarade de classe. Elle avait son petit caractère, à l'opposé de la sienne, et proche de leur mère. Il savait qu’elle lui aurait reproché son manque d’ardeur dans les conversations de groupe, car il était toujours mal à l’aise en ayant plusieurs personnes autour de lui.

« As-tu aussi un frère ou une sœur ? » demanda Ryota.

Les trois frères de sa camarade de classe l'impressionnaient. Ils réalisaient autant de métiers différents qu’ils pouvaient le faire. Ryota ne les avait jamais rencontrés, et l’adolescent ne comptait pas le faire. Cependant, il sentait qu’il pourrait être plus ou moins proche d’un de ses frères. (S’il savait ce qu’il faisait des corps, Ryota se serait pissé dessus)

« Ma petite sœur s’appelle Sachi. Elle n’a que six ans. C’est une petite sœur assez active qui ne reste jamais en place quand on doit sortir. »

Les yeux de Ryota s’illuminèrent avec fierté en pensant à sa petite sœur. Il ne pouvait nier qu’elle avait l’esprit aussi vif que sa mère, car elle ne se laissait pas marcher dessus face au garçon. Il ne pouvait pas s’empêcher de s’inquiéter pour elle quand il voyait sa peau marquée par les bagarres à l’école, même si c’est assez rare. En dépit de son jeune âge, celle-ci avait déjà développé une certaine maturité, car elle avait compris depuis quelque temps que son frère était seul dans son école. Si elle avait été là, elle se serait donné la mission d’augmenter le cercle d’ami de son frère en ouvrant une porte à Yuri.

« C’est un vrai rayon de soleil. Elle aime beaucoup s’amuser et son sourire est lumineux, annonça Ryota d’une voix apaisée. Ça doit être difficile d’avoir des frères à l’étranger ? » ajouta-t-il en regardant sa camarade de classe.

Ryota réalisa qu’il posait une question trop personnelle, voire déplacer, si sa camarade de classe avait des problèmes familiaux. Il posa une main nerveuse sur son épaule et il se massa le muscle pour se détendre.

« Enfin, toutes les familles ne sont pas comme la mienne. »

L’amour, au sein de la famille, lui était primordial. Ryota ne savait pas où était né cet attachement, mais il ne pouvait pas s'imaginer vivre sans eux. Il ne laisserait jamais un inconnu s’en prendre à sa petite sœur. Le lycéen se doutait qu’il n’aurait sûrement pas la force de se battre contre un criminel, mais il fera tout ce qu’il est possible pour empêcher que quelque chose lui arrive.

« Je suis content qu’on ait un peu la même vision, Yuri. J’espère que ça s’arrangera pour toi. Tu es une chic fille. »

Cette phrase avait été dite avec son cœur, sans le moindre détour. Il avait même agrémenté ses propos par un sourire lumineux. Cela lui avait fait du bien d’avoir un peu parler à coeur ouvert, lui qui s’enfermait souvent dans son propre silence. Ryota comprit qu’il aimait bien parler avec les gens, même s’il montre très souvent le contraire quand il est dans un groupe. Oui, il était mal à l’aise à ces moments là.

Le sourire du jeune homme disparut à ses pensées. Au même moment, Yuri annonça son devoir de devoir le quitter et il fit un mouvement de la tête affirmatif. Il regarda à sa montre et il vit que le temps avait défilé comme une flèche en parlant avec sa camarade.

« Pas de souci. Je finis ce que j’avais à faire ici, et je vais y aller aussi. Bonne fin de journée, Miharu, et rentre bien. »

Seul, Ryota ouvrit son pc et installa les photos prises de la carte mémoire de son appareil photo. Il examina chacune d’entre elles pour garder celle qu’il avait sélectionné et effacer celles dont il ne voyait pas d’intérêt particulier. Quand il s’arrêta à la photo qu'il venait de perdre, il marqua une pause. Son regard ne pouvait s’échapper de l’impression que sa camarade donnait dans cette photo prise par surprise. Il eut un sourire avant de placer la photo dans ses dossiers personnels.

Puis, il tomba sur la sienne. La photo prise de lui-même lui donnait un certain frisson. Il avait l’impression de se découvrir, lui et ce visage dont il avait honte. Il posa la main sur sa tâche de vin, le visage mélancolique. Il se souvint de tous ses mots prononcés par ses camarades de classe durant son enfance, et celle des passants encore aujourd’hui. Il n’aimait pas qu’on le traite de monstre ou de curiosité tout comme il n’aimait pas qu’on le plein sur son sort. Il avait beau suivre les recommandations de son père, « laisse-les dire. Quand ils auront marre, ils s’arrêteront », il ne s’était jamais senti apprécié ou aimé. Ce manque de confiance en lui l’avait toujours bloqué à se faire des amis, et il s’était toujours imposé cette barrière par lui-même jusqu’à ce jour.

Néanmoins, il avait envie que tout change sans savoir par où commencer.

Ryota éteignit son ordinateur portable, tout comme il ferma ses propres émotions, heureux ou malheureux, il devait continuer à se détacher de sa personne pour éviter de souffrir inutilement et inquiéter ses proches. Ensuite, il quitta la classe à son tour.