J'aime la bière. Je ne me considère pas comme un alcoolique, j'estime pouvoir m'en passer et donc je n'ai aucune dépendance. C'est un plaisir, un moyen d'encore plus s'amuser et, après les nombreuses soirées que j'ai pu faire, un excellent moyen de se vider la tête. L'avantage de la bière c'est sa difficulté à te bourrer la gueule et, si t'es doué, tu peux survivre le lendemain. Mais je ne cache pas que ces derniers temps, ces derniers mois, boire un coup chez moi et un nouveau moyen de fuir mes problèmes. Lorsqu'on est perdu dans la vie on cherche de nouvelles habitudes, souvent mauvaises. Ça donne un prétexte à bouger. Attention je ne suis pas dépendant, mais ça me permet de fuir mes problèmes.

Du coup ça fait bizarre de savourer un café entouré d'adolescents boutonneux.

Il y a quelques jours j'ai rencontré un fantôme, mon vieil ami Manami Sakamoto. Une pile électrique qui a décidé d'ouvrir un café dans cette ville et, comme par hasard, j'ai dû emménagé dans cette même ville pour diverses raisons. Je ne vais pas le cacher, cette plongée dans le passé m'a fait le plus grand bien. Une époque plus simple, où je ne me prenais pas la tête. Aussi une époque où je n'étais pas en sucre mais c'est une autre histoire.

J'ai donc, pour une fois, pris les devant après qu'il m'ait parlé de son café en face de ce lycée qui, pour une raison que j'ignore, me met mal à l'aise. Sans doute un rappel des nombreux ennuis quand j'étais moi-même au lycée. Enfin bref, j'avais décidé de faire une surprise à mon vieux pote, faisant ainsi écho à la surprise qu'il m'a fait en déboulant devant la caisse du magasin dans lequel je bosse. Je ne cache pas ma déception en voyant qu'il était en déplacement.

Déjà je n'étais pas très à l'aise en rentrant et en voyant le monde qui était à l'intérieur. C'est ça venir en semaine. Je crois bien qu'il n'y avait que des lycéens, les adultes devaient être au boulot et des étudiants qui ont des journées libres comme moi et dans cette ville, ça reste rare.

Mais pourtant je suis resté. Autant profiter et, qui sait, Manami pourrait arriver. La personne derrière le bar m'a répondu qu'elle n'était pas sûre de quand le patron sera de retour mais, avec un peu de chance, il peut arriver à tout moment.

Je me suis donc retrouvé devant la carte avec dessus... le Nécronomicon, j'ai pas d'autres noms. Aucun des noms sur cette carte ne fait sens pour moi, on dirait une autre langue. Mais j'arrive à en identifier un que je connais bien.

« Ce sera un Cappuccino s'il vous plaît. »

Rien de tel qu'un café qu'un café léger pour se détendre. Lorsque j'ai commencé à boire du café plus jeune, c'est le seul que mes parents m'autorisaient à boire. Le problème étant, plus le café était court et plus j'avais de l'énergie. Et plus j'avais d'énergie plus je pouvais tout casser autour de moi. Et puis c'est pas comme les gamins qui font une crise en retournant les meubles. Non moi une crise c'était d'aller péter la gueule à un mec qui ne me revenait pas.

Je commence à me détendre, à savourer ce café. Je suis perdu dans mes pensées. Je repense à mon prochain check-up à l’hôpital. Est-ce que je vais apprendre autre chose ? J'en profite pour retirer ma veste, me mettant ainsi encore plus à l'aise. Faut dire qu'il fait pas mauvais dans cet établissement.

Je pense aussi à Manami, à ce nouveau boulot qui a l'air de lui prendre beaucoup de temps. Il a l'air d'être devenu responsable lui. J'espère qu'il va pas tarder...

Je sais que j'ai pas la meilleure des dégaines. J'ai un peu l'air d'un « loubard » comme disent les jeunes, avec mes cheveux bruns, mes fringues très voyants et surtout le fameux regard qui tue. Tout ça pour dire que je n'ai pas l'habitude de me faire accoster dans un bar. Je me fais accoster nul part même. Moi-même, je ne vais pas trop vers les gens. Faut donc comprendre ma surprise lorsqu'une de ces lycéens, reconnaissable grâce à son uniforme, décide de venir me parler avec une phrase qui se veut cool.

Je suis censé prendre ça comment ? Est-ce que c'est une de ces arnaques ? Est-ce que je dois appeler les flics avant qu'elle ne le fasse en première ? Je suis perplexe. C'est pour cela que pour l'instant je fais comme si de rien n'était en continuant de siroter mon café.

Mais après elle a ajouté quelque chose d'intéressant. Elle a dit être une habituée et, connaissant Manami, beaucoup devaient savoir qui il était. Faut dire qu'il n'est pas des plus discrets, d'autant plus que c'est son lieu de travail. Mais bien évidemment je peux pas l’assaillir de questions comme ça à la gamine, elle a voulu la jouer fine donc je vais moi aussi la jouer fine. Il est temps d'utiliser mon cerveau.

« Ma mère dit toujours qu'il y a un moment à tout. Les fruits c'est synonyme d'équilibre alimentaire, idéal pour se redonner des forces avec tout le sucre et les vitamines qu'il y a là-dedans. Parfait avant ou après un marathon, ou bien tout simplement une journée de cours. Mais là, mon moment, c'est de me détendre en savourant lentement un café. »

Sacré maman. Lorsque j'ai commencé activement le sport c'était elle qui s'occupait de tous mes repas et je peux en dire que j'en ai bouffé des fruits ou des boissons énergisantes expérimentale. Je pense que le pire c'était le mélange courgette, poire, kiwi et gingembre. Ça m'a rendu moins compliqué sur ce que je bouffais. Mais je dois reconnaître que ça aidait bien à récupérer après l’entraînement. Merci maman.

« Mais peut-être que c'est mal vu dans cet établissement. J'y penserais une fois que j'aurais fini mon café. Tu peux m'appeler Taichi. Si tu veux continuer à débattre là-dessus, la chaise est vide. »

Ça fait pas trop bizarre une conversation entre en étudiant et une lycéenne ? Je dois avoir dans les trois ou quatre ans de plus qu'elle et elle vient discuter avec ce que certains jeunes considèrent comme un fossile vivant. Après si cela l'amuse autant la laisser faire, du moment j'ai du temps à passer en attendant Manami... s'il décide de passer un jour.

Elle connaît donc Manami. En même temps, j'imagine mal les adolescents de ce bar ne pas savoir qui il est. Il doit être un patron du genre bavard qui, naturellement, arrive à fidéliser une clientèle. Un vrai commerçant doublé d'un homme d'affaire. Est-ce qu'il y a une grande différence ? En tout cas, à mon humble avis, avec lui, cette différence ne doit pas être très visible. Ça n'explique toujours pas pourquoi la gamine est venue me causer. Je pourrais y aller direct, ça a toujours été mon style. Je ne suis pas très doué pour ce genre de jeux et j'évite de perdre mon temps en explication. C'est ça avoir plus de muscles que de cervelle comme disait encore une fois ma mère. Elle en a vraiment des bonnes...

Après sa question est des plus intéressantes, très nostalgique pour moi.

« En effet, aux premiers abords le café c'est un coup de booste. Genre beaucoup. Ce n'est qu'un mythe. Tout dépend du taux de caféine dans la boisson, la différence entre le court et le long. Là je bois un café long, dilué dans le lait. Il a donc un effet premier du café, me tenir éveillé, mais il laisse le cerveau tranquille, créant ainsi cette détente que l'on ressent. »

Je fixe ma tasse tout en racontant cette explication des plus ennuyante. Il n'y a que moi que ça intéresse ce genre d'explication foireuse. Mais ça me rappelle l'époque où je me levais à l'aube pour aller courir. N'étant pas du matin, j'ai dû me mettre au café mais on a vite remarqué qu'un café noir... n'était pas trop ma tasse de thé. Haha... Tout ça pour dire, que cet excès d'énergie, me donnait envie de me frapper le crâne contre un mur. Ça sonne exagéré mais c'est l'effet que ça me faisait. Je me suis très vite mis à des cafés plus légers, beaucoup plus sains pour ma santé.

Je n'ai jamais été bon dans mes études, et surtout pas en math, mais bizarrement, dès que ça avait un rapport avec mon entraînement quotidien, je pouvais apprendre des formules et dosages par cœur.

« Désolé je m'emporte, c'est pas super intéressant. Tout ça pour dire que ça dépend ce que tu cherches et tes goûts. Par exemple, je ne bois pas trop de thé, rien de tel pour m'endormir haha... »

Est-ce qu'un jour j'arriverais à gérer une conversation sans passer pour un con ?

« Mais je veux bien essayer ces boissons fruitées, ça a l'air plutôt léger. Je fais confiance au patron sur la santé de ses clients. »

Trop de sucre, c'est pas bon pour le corps.

« Au passage, tu connais bien Manami ? Je me doute bien que pas mal ici connaissent son nom mais t'as plus l'air de discuter avec lui. Tu sais s'il va passer ? »

J'espère qu'on me prend pas pour un stalker...

Vous voyez cette sensation où, alors que tout va bien, vous sentez des frissons dans le dos ? Ils remontent au niveau de la nuque, vous font trembler l'espace d'un instant et vous fait comprendre que, si vous faites pas gaffe, vous êtes mort. C'est un système de défense qu'adopte tout combattant dans sa vie. S'il veut survivre, il se doit de comprendre le niveau de son adversaire avant d'entrer sur le ring. Mais comme les pros apprennent à dépasser la peur, afin d'encaisser le plus de coups possibles, vous n'en verrez jamais un abandonner. Moi-même, par le passé, je l'ai déjà ressenti. Je ne dis pas que c'est ce que je ressens en ce moment, mais cet instinct me fait prendre conscience de la nature... bizarre de cette fille.

Sa manière de parler, de bouger, sa manière de me regarder. C'est terrifiant. Encore plus que de faire face à tout un gang. Car un gang je sais que ça va faire mal physiquement alors que elle, c'est le genre de personne à te faire tourner en bourrique juste pour le fun.

Avec mon cerveau de simplet, je suis loin d'un... mentaliste ? Ouais je crois que c'est ça. Mais, lorsqu'on fait attention à ses arrières comme moi, il faudrait être aveugle pour ne pas voir le gros panneau « Problème ». Et Dieu sait que je déteste les jeux psychologiques, je perds toujours à ce genre de truc. Moi je suis bon à la baston, pas à jouer avec les mots.

Laissons cette idée de côté pour le moment, je préfère me reconcentrer sur mon objectif de base.

« Ça m'aurait étonné que Manami ne soit pas connu. Pas dans le sens où on connaît son nom car, après tout, c'est son établissement. Je parle dans l'idée de traîner avec lui, il ne refuse la compagnie de personne. »

Une des rares personnes, je trouve, à être ainsi sans être un gros lourd. C'est Manami, comment dire non à son sourire de gamin.

« Si ça t'intéresse, je connais Manami depuis presque quinze ans... si je ne dis pas de bétises. Ma mémoire me fait souvent défaut. Le temps a fait qu'on s'est perdu de vue quelques années et on s'est croisé par hasard dans cette ville. On essaie de reprendre cette amitié là où on l'a laissé. »

Moi et ma mémoire... Maman a lancé une théorie que je ne retenais jamais rien à cause de tous les coups que je me suis pris à la tête. Maman a toujours aimé exagérer les choses, ça la rend drôle. Mais en dehors de ça, je reste sur mes gardes devant cette fille. C'est vrai quoi, une lycéenne qui va voir un inconnu, qui s'installe, papote, essaie de savoir des trucs sur un ami commun... ça cache quelque chose. Ou peut-être que je me fais des films, c'est pas comme si j'avais encore beaucoup d’interactions sociales. Je suis peut-être complètement rouillé. Déjà je vais essayer de rester gentleman.

« Ma tasse est vide je vais commander autre chose. Tu veux un truc peut-être ? »

À la demande de la jeune fille, je me levais pour retourner au comptoir et passer commande. Je vais pas cacher que c'était aussi un prétexte pour bouger un peu. C'est pas que j'étouffe, mais comme je l'ai constaté plus tôt, elle met la pression la gamine. J'ai plus l'habitude comme ça des interactions sociales aussi longues. En fait, j'ai jamais eu l'habitude. Après tout, taper dans un sac de sable m'a toujours suffit pour passer le temps. Mais comme le dit le proverbe : les amis de mes amis sont... mes amis. Proverbe à la con... Mais il n'est pas faux pour autant. Faut que je fasse des efforts et que j'essaie, pour une fois, de chercher à connaître quelqu'un.

« Une limonade et un cappuccino s'il vous plaît. Par carte... »

Un café, c'est bien. Deux cafés, c'est mieux. Mais trois, c'est trop. Ce sera mon dernier avant de repartir à mon avis, du moins si Manami n'arrive pas avant. Ça veut dire qu'il faudra faire faux bon à la gamine à la table ? À mon avis, c'est elle qui partira en premier. Non mais sérieux, je peux faire quoi en sujet de conversation ? « Tu aimes le lycée ? » Tu parles d'une phrase de tocard, personne n'aime le lycée !

Disons que je suis pas quelqu'un avec beaucoup d'imagination.

« Au passage, vous avez des nouvelles de Manami ? »

Cette fois, le serveur put me répondre. Il venait d'avoir confirmation de Manami qu'il ne passerait pas, il venait de commencer un examen à sa fac. Génial Taichi, dans tous les jours de la semaine, tu choisis celui où ton pote est sûr de pas être là.

Un peu agacé, je me retournais vers la jeune lycéenne. Elle était sur son téléphone, certainement à papoter avec ses amis, parler du fait que le dernier cours était à chier et j'en passe... C'est vraiment pas mal l'adolescence. On dirait que je suis vieux alors que je n'ai que trois ans de plus qu'elle. Mais passé le cap des vingt ans, on commence à voir les choses différemment, penser autrement, s'inquiéter de tout.

Avec un soupir, je retournais à ma place en déposant le verre de limonade devant l’intéressée, en tentant de prendre un air confiant.

« Désolé Sakura, notre ami commun ne passera pas. Il a examen aujourd'hui. Mes plans changent, nouvelles opportunités pour ce congé. Et toi ? Quels sont tes plans ? »

Merde les honorifiques. On peut dire que j'ai un peu été élevé à l'occidentale, mes parents n'ont jamais insisté là-dessus à part pour mes profs où là, il me forçaient à faire des efforts. C'est pas que je suis malpoli, du moins je ne pense pas, mais j'en ai surtout jamais eu quelque chose à faire. La seule figure d'autorité face à moi était mon entraîneur que j'appelais tout simplement « coach ». Du coup, j'espère que la jeune demoiselle ne l'a pas mal pris.

Mais ce qui m’intéresse surtout, c'est de savoir ce qu'elle cherche à parler avec moi. Comme dit plus tôt, je n'arrive pas à la cerner. Et je n'aime pas ça.

Du tir à l'arc ? Ça c'est un sport de précision et de concentration. Je vais pas le cacher, elle a l'air d'avoir la tête de l'emploi. Je me demande si elle en fait par rapport à un club à son lycée ou en extérieur. Je suis pas assez renseigné sur les complexes sportifs de cette ville, mais c'est pas surprenant qu'on puisse y faire du tir à l'arc. Même mon vieux lycée en avait un. C'était un lycée développé, mais pour les sports de combat c'était la misère. Après, à cette époque là, mon objectif était déjà de viser le professionnel et j'avais par conséquent un coach privé. Faudrait que je l'appelle d'ailleurs...  Mais assez pensé à moi, c'est elle le sujet.

« C'est si grave de ne pas avoir sa tenue pour ce genre de sport ? Je dois avouer que c'est pas une discipline que je maîtrise beaucoup. Mais j'imagine qu'il faut une certaine préparation. Tu possèdes ton propre matériel ? »

Ma question doit être plutôt idiote car, au fond, quel sport peut se faire dans des vêtements de tous les jours ? Si on me demandait de faire un match de kick-boxing en jean, ça me ferait bien marrer. Bonjour les difficultés à être optimal avec mes jambes.

Elle a sans doute envie de partir la gamine. Je ne la retiens pas, mais pour l'instant, je préfère lancer la discussion et voir où ça va mener. Je n'ai toujours pas cerné son caractère et je veux être certain du type de personne qu'elle est. On pourrait me dire qu'on s'en fout, que ce n'est qu'une lycéenne que je vais plus revoir après. Mais je ne pense pas. Je pense plutôt qu'on va être destiné à se recroiser avec Manami au milieu. Elle a l'air d'être plutôt proche de lui, mais je me trompe peut-être. C'est une intuition. Pour ça que je préfère m'informer au maximum pour notre première rencontre, afin de ne pas être surpris plus tard. J'ai du mal à gérer les surprises. Aussi, je n'ai littéralement rien d'autre à faire ! Car là le nouveau planning c'est : je rentre chez moi, je regarde la télé, je fais mon sport du soir, je regarde la télé, je mange devant la télé et, enfin, je m'endors devant la télé. Ça c'est le programme de rêve. Je déteste ne rien faire...

« Moi ? Je pense me balader un peu, me convaincre que la journée n'est pas perdue, tu vois le genre ? Mais bon on y est pas encore, pour l'instant on discute et tout peut arriver. Toi aussi t'as pas l'air convaincue de rentrer direct avec ton hésitation. »

Pour une fois, j'ai envie d'insister à me faire un vrai contact par moi-même... oui même si c'est une lycéenne. Je dois faire un peu lourd avec mes phrases à deux balles et mon sourire à la con. Mais bon, que dire d'autre ? De plus, en sirotant mon café, je repense à notre discussion avec Manami. Ce sentiment qu'au final, j'ignore plein de choses sur lui. Lui aussi il sait pas tout de moi mais, on va être honnête, c'est pas aussi gros que ce que lui me cache. Je vois mal le mec évincé de sa famille super riche pour ouvrir un café au calme dans une petite ville perdue. Je suis pas indiscret, juste curieux. Et, dans tous les cas, cette gamine doit en savoir plus sur lui que moi. Ça reste un ami dont j'ai pas eu de nouvelles depuis dix ans.

« Au passage, non pas que je veuille changer de sujet mais je viens d'y penser, tu peux me dire quoi sur Manami ? Il est comment dans la vie de tous les jours ? »

J'ai bien vu qu'elle appréciait Manami. Parler de lui doit être un bon sujet pour elle.

Je sirotais mon café en écoutant sa description de notre ami commun. Pour une description, on est plutôt sur des louanges, compliments et autres mélioratifs. Mais malgré tout, je ne peux m'empêcher d'interpréter certains de ces éloges comme une critique que je ne peux que comprendre. Parfois, la gentillesse peut nous mener à notre perte. Et au vu de mes inquiétudes sur les petits secrets de Manami, on est loin de me rassurer là.

Je n'aime pas fouiner dans la vie des gens. D'ailleurs, je ne me consacre que très peu à la vie des gens. Pas par méchanceté, mais juste parce que ça ne m'intéresse pas forcément. Cependant, lorsqu'un ami a besoin de moi, je fais en sorte de toujours être présent. C'est ce que j'ai dit à Manami, j'espère qu'il ne l'oubliera pas le moment venu. Et je pense que cette gamine, Sakura, doit également vouloir le bien de ce « soleil ambulant ».

Alors qu'elle termine son explication, je repose ma tasse pour aussi bien digérer la boisson, que les informations. Ce mec n'a pas changé en dix ans et ça fait presque comme s'il avait encore... dix ans. Un petit souffle s'échappe de mes narines pendant que je réfléchis à quoi répondre.

« Si je te dis qu'il est exactement le même qu'à l'époque tu me crois ? J'aimerais t'informer sur le passé mais, le problème, c'est que je ne l'avais pas revu depuis dix ans. Je peux essayer de rassembler ma mémoire, mais c'est pas mon fort. »

Encore moi et ma mémoire... Peut-être que les coups à la tête ont vraiment eu un effet. Je dois dire merci à la retraite alors ? Naaan continuons plutôt d'insulter ce corps malade, là au moins ça me divertie un peu.

« Tu sais, lorsqu'on était gamins, on se suivait presque partout. On jouait aux héros comme des enfants normaux. Mais il était déjà mature pour son âge, malgré sa naïveté éternelle. Et moi je ne l'étais pas assez pour voir qu'il y pensait vraiment à être une sorte de héros. Ou du moins aider les gens dans le besoin. »

Je me replonge dans mes souvenirs. Ça fait bizarre, j'ai pas trop l'habitude. J'espère pas trop dire de la merde.

« On était très semblables, mais en même temps l'opposé exact. Aider les autres, c'était notre passion, mais on le faisait différemment. Comme tu l'as dit, il est trop gentil pour ce monde. C'était déjà le cas à l'époque et voulait régler les choses de manière pacifique. Moi à côté j'étais un peu plus... explosif. »

Le jour et la nuit...

« Tout ça pour dire, je ne pense pas pouvoir t'apprendre plus que tu ne sais déjà. Je peux juste préciser qu'enfant, c'était loin d'être un con. »

Merci l'éducation de riche je suppose ? Comment cocher un cliché.

Si j'étais quoi ? Un con ? Au final, je pense l'être encore pas mal. Mais voilà que je commence à en dire un peu trop sur moi. Disons que j'ai pas trop envie de balancer des trucs d'enfance gênants. Est-ce que je rajoute autre chose ? Oui, alors en fait, j'étais plutôt le genre de gamin à briser les bras de mes petits camarades s'ils venaient me faire chier avec mes proches. Mais je te rassure, c'étaient des accidents à chaque fois, mais du coup j'étais pas très bien vu à l'école. Ben non je vais pas dire ça. Déjà que je n'aime pas trop parler du passé avec des proches, pour éviter le malaise, je ne vais certainement pas le faire avec une lycéenne que je connais depuis à peine une heure.

« Oh tu sais, j'étais pas vraiment le premier de la classe. J'étais plutôt le gamin au fond de la classe un peu agité, le petit comique. Celui qui vient toujours avec quelques pansements, quelques visites chez le médecin, les réunions avec les profs... la routine quoi. »

Je pense rassurer là. Je crois. J'espère. Je veux dire, on a tous eu ce camarade de classe qui était toujours dans le merde. Pas de quoi s'inquiéter.

« Du coup, avec mon bagage avec l'école, mes trous de mémoire doivent venir de là haha. »

Les coups à la tête...

Ma tasse est bientôt terminée. Ce court moment de réflexion me fait réaliser que je me suis relâché face à elle, je m'ouvre peut-être un peu trop. Après tout, je la trouve toujours étrange, avec un motif ultérieur. Ce n'est pas vraiment mon style de me poser trop de questions, je préfère être direct. Du coup, il m'arrive de donner ma confiance un peu trop facilement, ce qui peut m'apporter des problèmes. Des problèmes qui auraient pu être gros. Heureusement, je m'en suis toujours sortie. Je préfère ne pas faire cette erreur même si c'est pas facile pour moi. Prendre des coups d'avance, c'est pas mon truc.

Tiens, elle vient de finir sa limonade.

« Je te remercie pour ta confiance. De toute façon, je ne suis vraiment pas doué pour mentir, tu le verrais tout de suite. »

Comme disait mon coach, tout dans les muscles et rien dans le crâne... Elle a toujours aimé exagérer les choses.