Un soupir s'échappa des lèvres du blond, alors que le dernier lycéen pressé quittait sa boutique. Le rush du matin semblait enfin être fini. Même s'il s'était très vite fait au rythme, le calme après la tempête était bien souvent le bienvenu, surtout considérant que c'était généralement sa première réelle accalmie de toute sa matinée, qui commençait vers les trois heures du matin. Un moment de calme dont il profitait généralement pour allumer le jukebox à l'autre bout du bar, sur un disque de jazz, tonifiant ou apaisant selon son humeur. Aujourd'hui il partait pour du tranquille, assez lent et classique. Aussitôt, l'endroit se remplit d'une douce chaleur ambrée, le faisant fermer les yeux pour apprécier le moment.

Le tintement de la cloche d'entrée le fit les rouvrir cependant. Alors qu'il se dépêchait de retrouver sa place derrière le zinc, le jeune homme prêta plus d'attention au décor qu'à l'idée de commander, avant de finalement se diriger vers une des tables du fond. Aaah, Il voyait quel genre de client c'était, et ré-apprécia son choix de musique du jour.

Il lui laissa un moment pour se mettre à l'aise et consulter la carte, tandis qu'il s'affairait tranquillement. Il était seul ce matin-là, comme beaucoup de matins de semaine. Les principaux candidats au poste de serveur.se étaient des élèves du lycée, et évidemment ils ne pouvaient pas être présents pendant les heures de cours, surtout la matinée. Mais Manami s'en sortait plutôt bien, pour le moment. Il réussissait à gérer les rushs parce que les commandes, bien que nombreuses, étaient généralement simples. Une fois en vacances, ça s'avérerait moins facile, mais il aurait plus de facilité à engager des saisonniers.

Le jeune homme lui fit finalement signe, et d'un sourire courtois, Manami quitta son poste pour s'approcher.

« Bienvenue au Tutti Frutti ! Que puis-je vous servir ? »

Il le zieuta avec modération, ne cherchant pas à être impoli. Il n'avait pas souvenir de l'avoir déjà croisé, encore moins ici. Un nouveau client, donc ? Manami se demanda un instant s'il était arrivé ici par hasard.

Inspirant calmement, il se dit finalement que c'était peu probable. Il pût sans difficulté sentir l'odeur des grains de café émaner du jeune brun; du bon café, celui que vous servent les gens qui aiment ce qu'ils font. C'était étonnement inspirant, et le toucha particulièrement. Il avait très probablement affaire à un connaisseur, et quelque part son cœur s'en réjouit avec candeur. Entremêlé d'une fraîcheur, celle que l'on retrouve dans un endroit gardé à l'abri du soleil en automne; et d'un tintement de métal si aiguisé qu'il lui arriva au palais. C'était une odeur qui lui parut à la fois familière et inconnue, comme quelqu'un qu'il aurait longtemps côtoyé, sans jamais réellement apprendre à le connaitre. Une impression singulière...

Armé de son calepin, son grand sourire accueillant aux lèvres, il attendit patiemment. Il ferait de son mieux, en espérant satisfaire ces papilles difficiles.

Comment il traitait le thé et les fruits...Plus aucun doute à avoir, le jeune homme en face de lui était là pour le tester. Manami ne se sentit pas stressé, tendu ou sous pression; au contraire. Un étrange équilibre de calme et d'excitation le prit, le fit sourire poliment à nouveau, alors qu'il s'inclinait courtoisement, un "bien sûr, tout de suite !" lui échappant naturellement. En se relevant, avec une expression étonnement ravie, il ajouta.

« Si vous voulez jeter un œil par vous-même, ne vous gênez pas ! »

Sa proposition était totalement honnête, alors qu'il prenait lui-même la direction du bar. Qu'il le suive ou non, le résultat serait le même; il s'appliquerait tout autant. Cela dit, s'il était vraiment curieux, il pouvait bien vérifier par lui-même, si cela lui faisait plaisir !

Il était réellement en joie, lorsqu'une fois de l'autre côté du bar, il choisit une tasse d'un de ses services "fruités", optant pour de la porcelaine blanche ornée d'un doux rose, à fins motifs de cerises. Il lui avait demandé un thé aux fruits, sans préciser lesquels, Manami avait donc choisi de s'amuser avec ceux de saison, frais qu'il avait sous la main. Il avait préparé un thé oolong à l'abricot et aux fruits rouges quelques semaines plus tôt, cela devrait convenir ! Il chercha la boîte pendant un instant, la trouvant nichée un peu loin dans une étagère.

Même s'il évitait la théine, au même titre que la caféine, il appréciait jouer à en composer, simplement basé sur les parfums. Il était particulièrement fier de celui-ci, il était riche, sucré et acidulé, presque assez pour lui faire oublier le thé; il avait dû en refaire le dosage, d'ailleurs, se retrouvant plus avec une infusion de fruits au thé plutôt que l'inverse. Le souvenir le fit souffler d'amusement, alors qu'il revenait vers la tasse. Il ne put s'empêcher de fermer les yeux deux secondes en ouvrant la boîte, les arômes de cerise et d'abricot le séduisant, avec la couleur de la fraise et la saveur du oolong.

Il le laissa infuser un long instant, avant de le poser sur sa sous-tasse assortie, et de la décorer avec deux cerises fraiches. Yep, présentation satisfaisante, il sourit à nouveau, et servit le breuvage au jeune brun.

« Thé Oolong à la cerise, fraise et abricot. »

Il déposa le tout délicatement, les paupières encore baissées, profitant un dernier instant de l'odeur de la boisson, avant de se redresser convenablement. Si pendant un instant ses manières trahirent une gestuelle aux codes européens, le sourire chaleureux qu'il adressa l'instant d'après, une fois ses mains libres, dût briser l'image en quelque chose de plus chaud et sympathique.

Ce n'était qu'un café de quartier aux prix plutôt abordables, après tout !

Le barista se laissa être émerveillé par le spectacle olfactif qui se jouait devant lui. Pas seulement l'odeur de la boisson, qui dansait encore, sucré, dans l'air; mais aussi l'odeur de l'appréciation, du plaisir, peut-être même de la satisfaction. Son client semblait ravi de sa commande, et Manami n'aurait su l'être moins, en voyant le moment de bonheur qu'il avait réussi à créer.

« Je vous en prie ! Heureux que cela vous plaise~. Je vous laisse apprécier votre commande, mais reste à votre entière disposition ! »

Il s'inclina à nouveau, prestement. Son sourire ne le quitterait pas avant un moment, alors qu'il se détournait pour laisser le brun apprécier pleinement son thé, et revenait à ses tâches. Il replaça le bocal d'oolong sur l'étagère, rangea le petit cageot de fruits sous le comptoir, et passa le chiffon sur ce dernier. Il vérifia ensuite qu'il avait bien arrosé tous les pots de plantes disséminés un peu partout dans le café, sur les bordures des murs et des fenêtres ou pendantes du faux plafond en bois. En déambulant un peu partout dans la boutique, il veilla à ne pas faire trop de bruits, ni à enchainer les mouvements brusques. Il était le premier à sentir comme cela pouvait être stressant, de rester immobile pendant que quelqu'un fait les cent pas autour de vous. Il ne voulait pas gâcher l'expérience du brun.

Revenu derrière le comptoir pour encore faire un peu de rangement, il servit un jeune homme passé pendre un de ses casse-croûtes, puis la factrice qui se posa quelques minutes pour manger son Red Velvet hebdomadaire, en le saluant poliment, mais rien qui vint réellement briser l'ambiance particulièrement calme qui s'était instaurée aujourd'hui. Lorsqu'il fut à nouveau seul, il risqua un regard vers le brun, se demandant s'il allait commander quelque chose, si son thé lui avait assez plu pour envisager de revenir.

Il l'espérait.

Il finissait de barrer la livraison de ce matin de son agenda lorsqu'on lui fit signe; son expression ne tardant pas à se rouvrir de joie au moment où il croisa à nouveau le regard du jeune brun. Il s'inclina rapidement, son carnet cette fois dans la poche de son tablier, et attendait qu'il parle pour voir à débarrasser et lui faire payer l'addition. Mais l'annonce de la nouvelle commande manqua de le faire fleurir comme un bouton de printemps.

Okay okay Manami, calme. Ce n'est qu'une commande comme tu en as déjà fait beaucoup d'autres, rien de quoi autant s'enjouer. D'un soupir très discret il reprit son calme et s'inclina pour récupérer la tasse à présent vide.

Un thé épicé. Bien sûr sa première réflexion avait été un chai indien, mais son client avait eu la même pensée, et Manami se prit à réfléchir à autre chose, au-delà de la réponse évidente.

Lorsque l'idée germa dans sa tête, il sourit calmement, presque malicieusement, s'inclina encore et lança un "Tout de suite !", avant de repartir derrière le comptoir. A la façon de le formuler, le brun voulait être surpris. Le blond avait eu la parfaite idée pour ça~.

A nouveau, il se retrouva à fouiller dans ses étagères, mais pas que pour les ingrédients cette fois, qui étaient eux bien rangés dans un coin. Aah, il était sûr de l'avoir mis quelque part, par.... Là ! Il retira la boîte soigneusement, vérifiant que la poussière ne l'avait pas envahie, mais elle allait bien. Yes !

Franchement, il ne s'imaginait pas la sortir de sitôt, mais la vision, la sensation du verre entre ses mains lui rappela bien des souvenirs... Mais il n'avait pas le temps de rêvasser. Il récupéra du thé vert qu'il rinça doucement avec de l'eau chaude, puis rajouta de la cannelle, trois clous de girofle, du galanga (de sa réserve personnelle), quelques gouttes de citron et une poignée de menthe fraiche. Il laissa le tout infuser pendant qu'il s'occupait de la présentation de la tasse.

Loin de sa prédécesseure, tout en culture européenne et en raffinement de porcelaine, cette tasse, tout en longueur, était d'un doré translucide vif et coloré, décoré d'ornements or et bleu royal, lui rappelant les côtes méditerranéennes, d'où cette recette était justement proche. Il la posa sur sa soucoupe et y versa la boisson, relevant la théière assez haut pour aérer le thé. Il y déposa ensuite une feuille de menthe et l'amena au brun avec une petite carafe de lait.

« Thé vert à la cannelle, girofle, galanga, citron et menthe. Une recette locale d'Algérie. »

Il n'avait sûrement pas pu cacher la pointe de fierté dans sa voix en l'annonçant, mais il était bien trop heureux de l'occasion pour daigner le cacher. L'héritage c'était amenuisé avec les générations, malgré eux, dans sa famille, mais certaines choses restaient ancrées. Le thé en faisait absolument partie.

« J'ai aussi quelques biscuits légers pour accompagner si vous le souhaitez, cadeau de la maison ! »

Yep, définitivement trop fier.