Il venait de sortir du commissariat avec un bleu de travail sur lui. Pourquoi un bleu de travail au lieu de ses vêtements habituels me demanderez-vous ? Et bien il avait dû laisser ses affaires sur place car ils constituaient des preuves dans l'enquête qui est en cours... Une enquête sur l'assassinat de Azami dont il avait été témoin et ce, aux premières loges. C'était donc ça le danger oppressant qu'il avait ressenti la veille au soir. Effectivement, s'il avait su de quoi il s'agissait alors il n'y serait pas aller car au vu de la tournure des choses... c'était sûrement parce qu'il était face à elle qu'elle avait été condamnée... Le serpent attendait que le principal concerné soit sur place pour voir ce crime, ce meurtre... S'il n'avait pas écouté son inquiétude suffocante et qu'il n'avait pas cédé à sa volonté de s'assurer que son amie était en sécurité alors... alors... elle serait toujours vivante.

La police lui avait proposé de le raccompagner chez lui mais c'était lui qui ne le souhaitait pas. Il avait besoin de marcher et de réfléchir. Il ne savait pas ce qu'il allait faire par la suite, il était perdu, il était meurtri, il souffrait, il agonisait et il voudrait hurler jusqu'à s'en casser la voix. Hurler de chagrin et de colère, hurler de désespoir. Il venait de vivre quelque chose d'absolument tragique, la veille il enterrait des amis et le soir-même il en perdait une de plus sous ses yeux, impuissant face à la situation et à deux doigts de céder à sa colère contre le tueur. Il se demandait au plus profond de lui-même pourquoi il n'arrivait pas à gérer la situation et stopper tout ça... Il était tellement dans la volonté de tout ramener sous une forme de paix qu'il en oubliait qu'il avait tant de mal à faire les choses car il n'avait que seize ans.

Le pauvre avait encore du sang sur les mains, du sang dont il aimerait se débarrasser par ce qu'il représentait mais qu'il voulait garder à la fois pour la garder auprès de lui, comme s'il refusait de la laisser partir. Il sentait les larmes lui monter aux visages, les dernières qui lui restaient tant il avait pleuré devant la police. En revanche, il ne tremblait plus, ça aussi il l'avait trop fait, trop pour que ça puisse continuer actuellement.

Avant de rentrer chez lui rejoindre sa mère qui se faisait un sang d'encre, il se déplaçait jusqu'au chenil le plus proche de chez Azami afin de récupérer le chien de son amie et de l'accueillir chez lui. Il ne pouvait plus la sauver elle, mais il pouvait encore le sauver lui. Mais bon, avant ça, il allait devoir gérer un imprévu. C'était sa pensée lorsqu'il avait percuté une jeune inconnue.

« Pardonnez-moi, j'avais la tête ailleurs ! Vous allez bien ? » Disait-il en lui tendant la main la moins peinte par le sang séché de son amie.

Elle avait l'air d'être gentille et de ne pas se montrer agressive, ça le soulageait dans un certain sens et elle l'invitait même à aller chez elle pour se laver et se calmer devant une tasse de thé. C'était probablement le genre de choses qu'il aurait fait si la situation était inversée. Il était au moins rassuré sur ce point, il avait toujours la volonté d'être bon et juste. Mais alors qu'il hochait la tête pour accepter sa proposition et commencer à avancer, il se remémorait plein de souvenirs où ses choix avaient mené ses amis là où ils étaient aujourd'hui. Kenichi, Yoshimatsu, Azami, ces trois amis qu'il avait lui-même côtoyé et montré de l'intérêt pour former une belle et grande famille. Ces trois amis qui aujourd'hui il ne reverrait plus jamais. Alors d'un geste brusque, il s'éloignait de la demoiselle et se recroquevillait sur lui-même.

« Non... Non ! Je ne peux pas accepter... Si tu me parles trop, toi aussi tu seras sa cible... » Disait-il la voix tremblante. « Je ne veux pas que quelqu'un d'autre meurt à cause de moi... s'il te plaît... » Rajoutait-il en commençant à sentir des larmes tomber de ses yeux rougis par la fatigue et le chagrin.

Il voulait s'isoler, être seul dans cette ville avec Katsu, Yuri et Manami afin de s'assurer que tout les autres soient en sécurité loin de lui. Il voulait être seul le temps d'être assez fort pour stopper une bonne fois pour toute cet animal qui ne tuait pas pour son désir égoïste... Il tuait pour Zuran et c'était cela qui rendait le malentendant responsable de ce tueur et de ses actes. Le parrain avait encore sa volonté et sa détermination à se battre pour que tout s'arrête. Mais il était terrifié que d'autres personnes meurent en son nom. Il était terrifié de voir ceux qu'il voulait protéger tomber les uns après les autres. Malheureusement, à l'heure actuelle, son cauchemar était sa vérité.

Fatigué car cela faisait maintenant plus de vingt-quatre heures qu'il n'avait pas fermé l’œil, ses jambes ne le supportaient plus, elles avaient été trop sollicitée pour le moment et avaient causé la chute du parrain qui tombait au sol sur son dos, les yeux braqués vers le ciel gris et continuait à laisser ses larmes couler sans un bruit.

« Pour ta sécurité, tu devrais juste m'ignorer et partir. » Disait-il plus calmement.

Il ne voulait plus être responsable des agissements du serpent. Il voulait juste qu'on ne l'approche plus le temps qu'il puisse lui-même réagir pour l'arrêter une bonne fois pour toute. Après s'il comptait l'arrêter en l'envoyant en prison ou en le tuant... Lui-même n'était pas certain de la méthode finale à l'heure actuelle.

Elle ne l'écoutait pas. Enfin si, elle l'écoutait mais elle ne prenait pas en compte ce qu'il disait ou alors elle le minimisait parce qu'il avait besoin d'aide et que c'était gravé au fer rouge sur son visage. Quand elle s'était mise à le porter, il avait balbutié un refus afin qu'elle le laisse là mais ça non plus elle ne l'avait pas écouté. Alors qu'il n'avait plus de force physique et morale pour se débattre, il pleurait légèrement à nouveau parce qu'il avait l'impression qu'elle se condamnait toute seule en voulant lui tendre la main.

Une fois chez elle, elle expliquait à sa famille qu'elle avait ramené quelqu'un qu'elle voulait aider pour finalement monter dans sa chambre et le déposer sur son lit. En temps normal, il aurait été rouge de timidité au vu de la situation car cela pouvait être assez tendancieux, mais rien. L'idée ne lui était même pas venue à la tête et même si c'était le cas, il n'en avait pas le cœur de le relever. Alors quand elle lui expliquait que sa douleur se ressentait jusque dans ses yeux, il la regardait, observait son visage et ses yeux à son tour. Il allait tenter de la dissuader une dernière fois et tenter de la motiver à le foutre dehors.

« Tu es en train de te rendre complice de soutien envers un mafieux qui est actuellement en guerre Doe-chan. » Disait-il en la surnommant Doe pour Jane Doe, identité utilisée dans certains métiers pour mentionner une personne dont l'identité est inconnue. « Tu es en train de tendre la main à un criminel qui est en proie au tueur en série de Namimori qui sévit depuis quelques semaines. » Rajoutait-il pour jouer franc jeu d'une voix monocorde.

Dit comme ça, beaucoup de gens ne le prendraient pas au sérieux. Mais cette fois-ci, il avait littéralement du sang sur les mains alors que lui n'était pas blessé. Puis la quantité de sang séché était quand même assez impressionnante, on ne voyait quasiment plus la couleur pêche sur les mains et avant-bras du mafieux. Force est de constater qu'actuellement, il avait un sacré élément montrant qu'il était effectivement impliqué dans quelque chose de violent, dans quelque chose de dangereux.

Il ne voulait pas lui faire peur, mais s'il devait susciter la crainte pour qu'elle le rejette afin de s'assurer qu'elle soit en sécurité alors il le fera. D'un léger mouvement, il essayait donc de se relever pour repartir, de quitter les lieux pour que rien ne lui arrive à elle alors qu'elle était le genre de personne avec qui il adorerait devenir ami. Une fois debout, il titubait légèrement mais réussissait à assez se concentrer pour marcher. Il s'élançait donc doucement pour s'en aller mais pas assez rapidement pour ne pas être retenu. Alors il espérait, il espérait sincèrement qu'elle comprenne ce dans quoi elle s'embarquerait si elle le retenait ici. Il espérait qu'elle estime sa vie plus importante que celle d'un parfait inconnu mais au final, la suite ne dépendait pas de lui.

Elle estimait donc la vie du malentendant aussi importante que la sienne. Elle avait comprit le message mais ne voulait pas le traiter différemment pour autant. Au delà de ça, elle l'enlaçait et entourait ses bras autour de lui. Elle lui disait qu'elle ne le lâcherait pas tant que la lumière dans ses yeux ne brilleraient pas de mille feux comme ils devraient l'être. Elle ne comptait pas le lâcher tant qu'il ne serait pas reposer et plus à même de pouvoir réagir et intervenir efficacement. Ses jambes, quant à eux, ne lui laissaient pas le choix que de fléchir à nouveau et de s'écrouler dans son étreinte.

Alors il entourait ses bras autour de la jeune Saphire en veillant à ce que ses mains collantes ne se collent pas au tissu de ses vêtements. De la chaleur. Il sentait une chaleur aussi forte que son parfum. Il avait l'impression d'être soutenu dans un nuage, il avait l'impression de rentrer dans un rêve éveillé. Alors il faisait ce qu'elle lui avait dit, il se laissait aller, il se laissait porter et acceptait de lâcher prise pour aujourd'hui... il acceptait que quelqu'un le tire des ténèbres pour ce soir.

« Je m'appelle Zuran Kitamura... » Disait-il à moitié endormi pendant qu'il sentait la chaleur l'envahir peu à peu.

Il sentait son corps s'alourdir pendant que ses yeux se fermaient quasiment tout seul. L'étreinte, la chaleur, le parfum, la douceur, tout ça le poussait dans le sommeil. Un sommeil dont il avait tant besoin qu'il ne s'était pas rendu compte que cela faisait maintenant plusieurs heures que son rythme cardiaque était supérieur à la normale. Alors l'effet de changer de rythme brutalement avait fait pâlir son visage au point qu'une flammèche de dernière volonté naissait sur son front. Une flamme qui grandissait en fonction du rythme de sa perte de conscience. Une flamme montrant à quel point son corps ressentait le surmenage qui aurait pu l'envoyer aux côtés de ses défunts amis. Mais heureusement, cette flamme prenait le relais afin que le sommeil réparateur soit optimal.

« M... Merci... Saphire... » Disait-il avec difficulté avant que ses bras ne tombent lorsque ses muscles se soient relâchés.

Il n'était pas encore totalement inconscient, ses yeux restaient légèrement visibles mais il n'y avait plus aucune lumière dans ces derniers, comme s'il dormait les yeux ouverts pendant que sa flamme avait atteint la taille normale. C'était la deuxième fois qu'elle s'était activée sans utiliser de balles de la dernière volonté. La première fois c'était face à Shilia lors de l'exécution de Azami. La flamme était agitée, vacillait violemment, elle était brutale et brûlante. Alors que là, elle était plus douce, plus calme, plus paisible, comme si elle était en arrêt sur image.

Il y avait cette odeur, ce parfum de bois braisé au contact de l'herbe fraîchement coupé. Il y avait ce son, cette mélodie sifflée entre deux feuilles souples d'un buisson. Il y avait ces vibrations, comme s'il s'agissait de percussions accompagnant le souffle de vent, comme si c'était des personnes qui dansaient. Et le malentendant était là, au beau milieu de la forêt durant une nuit où la lune était si éblouissante qu'il pouvait voir à travers les ténèbres. Il n'y avait aucun prédateur, juste lui, allongé d'un nu pur, brut, sans artifices et recouvert d'une très fine couche de terre granuleuse et douce comme de la neige des pieds jusqu'au cou. Il avait les yeux ouverts et contemplait la lune partiellement cachée par des feuilles d'arbres disséminées et éloignées les unes des autres par ce souffle d'automne. Il n'avait pas froid, la température était dans une frontière égale entre chaleur et fraîcheur. C'était calme, d'une sérénité sans précédent.

Et là, il rouvrait les yeux. Pour lui, son rêve n'avait duré que quelques secondes. En vérité, il s'était déjà passé plusieurs heures. Il voyait la bonne samaritaine face à lui. Encore à moitié réveillé, il n'arrivait pas à déterminer si elle dormait ou fermait les yeux parce qu'elle avait veillé sur lui toute la nuit. Elle l'avait fait, elle l'avait accueilli chez elle et il y avait une tasse de chocolat refroidi avec un marshmallow quasiment dissout dedans. Il ne disait rien, il ne pleurait plus, il n'avait plus aussi meurtri que la veille et il avait l'air d'avoir reprit des forces par le repos. Mais il n'y avait aucun son autre que celui de leur respiration respective. Le malentendant rapprochait l'index et le majeur afin d'effleurer le visage de Saphire pour l'inciter à se réveiller délicatement. Une fois qu'elle avait reprit ses esprits, Zuran ne disait rien pendant quelques secondes, il la regardait juste et disait sur un ton doux limite en chuchotant.

« Tu devrais prendre ma place et te reposer. » Proposait-il en se relevant délicatement.

Il attrapait les chaussures qui lui avaient été ôtés pour se les remettre de manière très fluides, ordonnées pour ensuite nouer ses lacets. Ensuite, il enfilait tranquillement le haut de son bleu de travail et remontait la fermeture éclair. Une fois bien rhabillé, il attrapait délicatement la tasse froide et mélangeait la guimauve fondue avec le chocolat afin que ce soit homogène et buvait doucement le liquide que la mère de sa bienfaitrice avait fait. Il ne voulait pas gaspiller la gentillesse qu'on lui avait accordé, une fois terminé, il regardait à nouveau Saphire.

« Merci. » Disait-il avec sa douce voix. « Si tu as des questions ou une requête, tu peux m'en faire part. » Rajoutait-il en lui tendant un bout de papier avec son numéro de téléphone inscrit dessus.

Elle était curieuse, c'est normal. Mais il ne voulait pas parler de tout ça. Il avait l'impression qu'il avait accepté la mort de Azami durant la nuit et par conséquent qu'il allait montrer qu'il avait déjà réussi à tourner la page. Il ne voulait pas montrer cet aspect de sa personnalité, sa capacité à pouvoir s'adapter à toutes les situations. Il ne voulait pas paraître comme étant quelqu'un de détacher car c'était faux. Azami était son amie et elle le restera éternellement. Elle avait été sacrifiée par Shilia au nom du malentendant, pour forcer la flamme la plus puissante du parrain à émerger. Il était la cause principale de la perte des siens. Mais au lieu de s’apitoyer, il voulait avancer, devenir plus fort et arrêter le serpent.

« Tu devrais avoir ta réponse dans le journal d'aujourd'hui. » Disait-il pendant qu'il prenait la tasse vide avec l'intention de la ramener en bas. « Encore merci, ça m'a permit de faire le point pendant mon repos. » Rajoutait-il avec un regard non pas froid mais assuré, déterminé et plus combatif que jamais.

Il n'avait jamais eu cette sensation. Après avoir rapprocher la couette à Saphire, il redescendait et apportait la tasse à la famille de cette dernière alors qu'il avait encore des tâches de sang sur les mains et avant-bras. Il l'avait également remercié comme il se devait et sortait dehors. Il voyait plusieurs personnes avec le journal sous la main qui racontait le meurtre d'une jeune étudiante qui s'était déroulé sous les yeux de deux camarades impuissants. Il n'avait pas fallu longtemps pour qu'ils fassent le rapprochement et certains avaient l'air d'avoir le cœur lourd car qui dit petite ville dit que beaucoup de gens se connaissaient entre eux et ils voyaient que l'une des victimes était le fils d'une amie.

Mais Zuran ne s'en préoccupait pas, il avançait et il savait exactement là où il devait aller. Il avait cette impression bizarre de vouloir créer un monde de paix tout en ayant le bras armé pour faire face à la guerre. Ses sentiments étaient devenus très paradoxaux. Ils étaient tous contraire mais n'étaient pas incompatibles pour autant car son cœur ne vacillait pas à cet instant précis. Se battre jusqu'à avoir ces os brisés pour vivre heureux, vouloir sauver des personnes à qui il ne pardonnerait jamais pour leurs actions, détruire pour construire un nouveau monde. Il avait cette sensation très forte de se retirer la corde qu'il avait autour du cou pour la déposer sur celui de quelqu'un d'autre. Shilia Nakamaru... cette pendaison, elle était pour lui, pas pour la vengeance mais pour le sauver de ses propres actions. Que la guerre pour la paix commence.