Elle bailla.
Putain ce qu’elle était crevée. Sa tête cognait horriblement et la lumière blanche de l’infirmerie amplifiait son mal de crâne puissance mille en plus de lui mal aux yeux. À quelle heure elle s’était couchée hier soir? Là n’était pas la question. Enfin si. C’était précisément la question. Depuis quand n’avait-elle pas eu une bonne nuit de sommeil? Trop longtemps selon la jeune femme. Trois nuit selon un oeil extérieur. Trois putain de nuits qu’elle rencontrait son lit (ou pas d’ailleurs, parfois elle dormait qu’à son cabinet) qu’à cinq heures du mat’ pour se lever deux heures plus tard, pour se préparer à son taffe de médecin. Son lit, le plus grand amour de sa vie, lui manquait. Ces coussins moelleux, ses deuxièmes amours, lui manquaient tout autant. C’était pas un hasard si elle avait très vite obtenu la réputation de marmotte du lycée, après Rihan (le gars était un gros dormeur, et ça, ça la fascinait). Elle n’avait plus dix-huit ans et ça commençait furieusement à s’en faire ressentir. Elle redoutait déjà la trentaine.

Elle bailla.
Willow se leva de sa chaise. Elle perdit l’équilibre et se rasseya. Vraiment? Elle se désespéra elle-même. La jeune femme s’affala dans la chaise et ferma les yeux juste pour deux minutes. Lorsqu’elle les rouvrit, une trentaine de minute étaient passées. Elle se sentait déjà un peu plus en forme. Enfin, c’était pas trente minutes de sommeil de plus qui allait changer quoique ce soit à sa mine pâle et ses valises sous les yeux.

La medecin alla se chercher un café dans la salle des profs. En chemins, elle salua d’une main les élèves et profs qu’elle croisait. À son plus grand bonheur, cette mini-sortie dura à peine dix minutes. Elle avait pas eu le temps de se plaindre contre la machine ou même avec ses collègues (leur activité favorite disons) qu’elle était déjà revenue dans son antre. L’infirmerie, aux lits très inconfortables, qui embaumait tout le temps une délicieuse odeur de café.

Elle bailla, encore une fois.
La matinée était déjà bien avancée, l’heure du repas approchait. Enfin, il était neuf heures. Son café était malheureusement terminé, un doliprane pris dans la foulée, et elle songeait sérieusement à squatter son club de sieste favori. Par club de sieste, elle pensait à la salle du président du club de cuisine. Elle tapait ses meilleures siestes parmis les coussins soigneusement disposés par Sorane.

Au moment où elle se décida à se lever, toujours aussi affalée sur sa chaise à roulette, la porte de l’infirmerie s’ouvrit brutalement. Le soudain chahut la tira de son observation -plus une rêverie qu’autre chose- du plafond blanc au-dessus d’elle. Willow leva des yeux fatigués vers le nouveau venu. L’énergie du jeune l’aveugla et se dispersa dans la pièce comme ces rayons de soleil. Willow sourit. Shin. Elle appréciait énormément ce gamin. Avec lui, y avait pas moyen de s’emmerder. Sa simple présence tuait l’ennui à coup d'alcool et d’histoires insensées. Leur première rencontre avait été mémorable.

"Willyyyyyy ! Devine qui s'est encore fait bobooooo !!"

La rousse leva les yeux au ciel, signifiant un "encore toi?" silencieux. Si elle aimait soigner des gens et faisait des miracles, ça voulait pas dire qu'ils avaient le feu vert pour se blesser h24 de manière impossible. Quoique. Ça la faisait bien rire. Shin était un habitué de l'endroit, à son grand damn. Elle devrait faire une carte de fidélité. Du genre, à votre cinquième visite, chocolat chaud gratuit. Ou un truc dans le genre.

"Qu'est-ce qu'il t'arrives encore Shinou?"

Il s'élança vers elle, les bras grands ouverts. Un câlin? Willow se leva, se préparant à le réceptionner pour le faire asseoir sur sa chaise pour soigner sa tête. S'il y avait que ça à guérir d’ailleurs. Elle n'avait vu pour l'instant que le liquide carmin dégoulinant de la figure du jeune.

"En plus cette fois c'est vraiment pas ma faute !! Je l'jure sur le cul de Jack Harkness !
-Ouais ouais, c'est ça. Qu'est-ce t'as encore fait?"

Elle ne le croyait qu'à moitié. À chaque fois, ça n'était pas réellement de sa faute, juste, les événements se déroulaient d'une manière… incongrue. Willow avait hâte qu'il lui raconta ce qu'il s'était passé. Bref. Jurer ceci sur le capitaine était un coup bas. Ce mec était un dieu dont elle adorait suivre les aventures.

Son plan ne se déroula pas exactement comme prévu. Au lieu de l'attraper et le forcer à s'asseoir bien gentillement, elle se laissa juste, comme ça, tomber sur lui. Et il se trouvait que Shin était un excellent matelas. Quelqu'un le lui avait-il déjà dit? Elle devait lui dire. Une fois que son stupide mal de tête passerait. Elle ferma les yeux.

Les rouvrit dans la seconde. Bordel Shin. Elle devait combattre son état et venir en aide à Shin.
L’avait pas le temps de dormir.

“Des mauvais perdants ont trouvé drôle de prendre ma tête pour un ballon de foot. Mais c'est moi qu'ait fini par rire le plus fort et ça les a fait flipper ! J'ai testé un nouveau mix c'matin j'ai quasi rien senti~”

La jeune femme pouffa. Elle pouvait très bien imaginer la scène. Un groupe de délinquants s'amusant et essayant de faire les gros durs alors qu'ils flippaient pour un rien; et Shin en train de se marrer. La tête qu'ils avaient dû faire. Willow aurait aimée être présente et immortaliser le moment sous des traits de crayons. Malheureusement, elle était surement occupée à dormir à ce moment et c'était pas plus mal.

En revanche, la dernière partie de ses explications lui arrachèrent une grimace. Un nouveau mix? Willow soupira. La médecin était au courant des tendances droguées de l'adolescent. Mais que pouvait-elle y faire? Absolument rien. Par le passé, elle lui avait déjà fait des remarques sur sa conso. Elle avait envie de lui mettre une chiquenette à l'arrière de la tête. Elle s'abstient pour deux raisons. De une, il était grand, et ça lui prendrait une énergie phénoménale rien que pour lever son bras, elle le sentait. De deux, le gamin était blessé, et c'était pas dans ses habitudes de taper un de ses patients.

Du coup, elle veillait juste sur l'adolescent, espérant qu'il ne prendrait pas la dose de trop.

Il releva sa mèche pour montrer sa blessure. Willow se tint sur la pointe des pieds pour mieux voir. A premier coup d'oeil, il avait raison, ce n'était pas si grave. Il parlait et était cohérent, et c'est tout ce qui importait. Elle s'éloigna de lui -à contrecoeur- et se dirigea vers son bureau et l'armoire pour récupérer ce dont elle aurait besoin.

“Par contre pour toi doc, ça a l'air moins fun. Comment on dit déjà, les cordonniers sont les plus mal payés ?”

Elle sourit. Il avait pas tord. Elle savait qu'avec de telles journées, elle se ruinait la santé. Arrêterait-elle pour autant? Pas vraiment. Tant qu'elle pouvait encore suivre, elle continuerait dans sa lancée. Des gens avait besoin d'elle, elle ne pouvait refuser ses services. C'était plus fort qu'elle.

"Les cordonniers sont les plus mal chaussés, le corrigea-t-elle en riant, Shinou. Et ouais, t'as pas tord. ça fait deux-trois nuits que je dors assez mal."

Elle espérait que son jeune ami ne relèverait pas le demi-mensonge. La jeune femme ne savait pas s'il était au courant pour ses activités....moins légales auxquelles elle s'adonnait (néanmoins, elle s'en doutait, il était ami avec Rihan. Et, évidemment, Rihan savait); et parler de cela au sein de l'établissement scolaire était aussi un risque. Après tout, comme on disait, les murs ont des oreilles. Et la porte, grande ouverte.

Willow mit des gants et se rapprocha rapidement de l'adolescent -outils de travail dans les mains- qui s'était installé sur un des lits. En parlant de ça, il allait vraiment falloir que l’établissement fasse quelque chose. Les remplacer par exemple. L'infirmerie était un lieu de repos, cependant, les lits étaient vraiment très inconfortables. Y avait pas moyen de faire une sieste tranquille sans les entendre grincer. Elle en toucherait deux mots au directeur.... plus tard, pas aujourd'hui. Elle n'était pas assez en forme pour lancer une discussion, voir un débat, avec lui. Le gamin tapota sa cuisse.

“Si tu veux on peut faire un échange; tu t'occupes de ma blessure et je te chante une jolie berceuse ? Comme ça aucun de nous ne finira évanoui en bas des escaliers d'ici la fin de la journée —pas que j'y sois pas habitué— !
- C'est un problème que t'y sois habitué, dit-elle d'un ton qui se voulait léger.”

Vraiment, c'était un problème. Apparemment, elle n'était pas la seule qui avait des habitudes douteuses.

Y avait pas à dire, la proposition était tentante. Vraiment très tentante. Elle déposa les objets -de la gaze, de l’alcool à 70° et un pansement- qu'elle avait dans les mains, à côté de l'adolescent.

"Marché conclu. J'espère que t'es un bon chanteur sinon je vais avoir du mal à m'endormir."

Mensonge. Une fois qu'elle aurait fini de l'examiner et désinfecter sa blessure, Willow était sûre que berceuse ou non, elle s'endormirait d'un coup.
Elle sortit une barrette d’une des poches de sa blouse immaculée et la mit de manière à dégager les cheveux bruns de la blessure. Puis, elle imbiba une partie de la gaze avec de l’alcool.

“Attention ça risque de piquer.”

Avec douceur, concentrée, elle l’appliqua sur la tête de Shin. Elle nettoya d’abord les alentours de la coupure. Puis elle s'occupa de celle-ci.

“D’ailleurs, tu n’es pas blessé autre part?”