“Tu t’en vas?”

La jeune femme se retourna vers la petite voix qui l’avait appelée. Son petit frère, Alessandro, était déjà réveillé. Baillant à l’encadrement de la porte du salon, il la regardait paresseusement mettre sa veste en cuir et ses baskets. Coupant son geste, avec une chaussure à moitié mise, elle lui sourit chaleureusement et s’approcha de l’enfant. Willow caressa sa petite tête blonde, n’essayant même pas d’arranger ses mèches virevoltant dans toutes les directions. Lui prenant la main, elle le conduit doucement vers la cuisine.

“Ouais, j’ai un client ce matin.
-Mais on est samedi, protesta-t-il, tu prends toujours tes matinées le samedi! C’est notre jour Willy!”

Le gamin n’avait pas tord. Son samedi matin, jusqu’au déjeuner, elle faisait en sorte de le passer avec son frangin. Comme il se levait tôt, ils avaient généralement du temps pour eux. Cette fois, ça n’était pas le cas. Aujourd’hui, Rihan lui avait demandé de venir chez lui pour un soin, sans donner une quelconque explication. Dans tous les cas, elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il ne la dérangerait pas pour des futilités, c’était pas son genre. Raison de plus pour se ramener. Si ça avait été une autre personne que son chef, elle l’aurait envoyé valser. Les samedis matins étaient sacrés chez les Moonbane.

Le jeune garçon fit la moue. Au fond, elle le comprenait. Elle aussi avait envie de rester avec lui, de manger un géant petit déjeuner et de regarder des dessins-animés dans le canapé. Les autres jours de la semaine, ils se voyaient trop rapidement; elle était très prise par le boulot. Willow s’agenouilla devant lui et prit ses mains dans les siennes.

“J'peux pas le laisser tomber ‘Sandro. Promis, je me rattraperais une aut’ fois.”

Elle vit un sourire sur le visage de son benjamin. Enfin. Il savait qu’elle ne brisait jamais ses promesses. Dans sa tête, la jeune femme pensait déjà à plusieurs manières de se faire pardonner.  

“Il doit être important ce client.
-Crois-moi, il l’est.”

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Une trentaine de minutes plus tard, la rousse gara sa moto devant ce qui devait être l’immeuble dans lequel vivaient les Sutton. Elle retira son casque, ses cheveux roux tombèrent devant ses yeux, et le déposa sur le siège encore chaud. Puis, en enlevant ses gants de cuir noir, elle observa un peu les lieux. Le bâtiments n’était pas très haut et semblait vieux. Vieux certes, mais pas délabré non plus. Le ou la gardienne de l’immeuble devait faire un beau boulot: des fleurs et arbres étaient plantés un peu partout, c’était plaisant à voir.

La jeune femme mit son sac sur une de ses épaules, porta son casque d’une main et se dirigea vers l’entrée. Ce dernier était lourd et bien remplit. Faute de savoir ce que le brun lui demanderait, elle avait apporter tout le matériel de première nécessité, ainsi que le matos fondamental pour dispenser des soins. Elle tiqua. L’adolescent aurait quand même pu être un peu plus clair sur la question. À l’aide des codes que Rihan lui avait filé par message, elle pénétra rapidement dans l’enceinte du bâtiment. Puis sonna à la fameuse porte juste après, tout en saluant les voisins qu’elle croisait. L’appartement était situé au rez-de-chaussée.

Willow n’attendit pas longtemps avant qu’on ne vienne lui ouvrir. La porte se déverrouilla sur l'adolescent. Beaucoup plus grand qu'elle, la jeune femme leva les yeux vers lui. Elle le gratifia d’un grand sourire. Sérieusement, avec Shin, ces deux-là devraient s'arrêter de grandir.

“Salut!”

La jeune femme entra dans l’appartement et retira rapidement ses baskets à l’entrée. Cette coutume lui était toujours aussi étrange et parfois elle l’oubliait, même après un an passé dans ce pays. Enfin, s’il n’y avait que ça. En arrivant ici, elle avait été complètement déboussolée par la culture nippone, si différente de celles qu’elle connaissait. Au départ, dire elle avait galéré n’était qu’un euphémisme. Sans compter la langue. L’anglais n’était clairement pas le point fort des japonais. Les hiraganas et katakanas avaient été faciles à apprendre. Si faciles que ça devait cacher un truc. Elle n’avait pas eu tort. Peu de temps après, elle s’était penchée sur les kanji. Ils étaient et resteraient sa bête noire. Pourquoi avoir autant de caractères avec beaucoup trop de sens pour chacun d’entre eux? Pourquoi?

Se relevant, la jeune femme balaya l’appartement du regard. Elle eut un coup de cœur. Loin de la dépayser, le logement des Sutton lui rappelait le sien. Et, automatiquement, ceux dans lequel elle avait vécu en Italie, avant de déménager en Amérique et enfin, au Japon. Et un jour, elle repartirait encore. Parfois, elle avait l’impression d’être un oiseau migrateur, à s’installer ça et là. Enfin, c’était pas un oiseau migrateur du coup… Ou bien si, vu que Milan était le nid auquel elle revenait sans cesse?

Son regard s’arrêta sur un grand cadre accroché au mur opposé à l’entrée. Ceux qu’elle devinait être les Sutton y posaient. Il y avait un homme au centre, d’une cinquantaine d’année, entouré d’un autre homme lui ressemblant comme deux gouttes d’eau (mais paraissant légèrement plus jeune avec ses cheveux noirs) et d’une femme. Willow sourit quand elle vit son casque. Une consœur motarde. Au second plan, deux jeunes gens, des jumeaux, tenant un nourrisson dans les bras. Elle ne chercha pas à comprendre davantage. Des rumeurs sur Sutton, elle en avait entendu; elles ne les écoutait qu'à moitié, comme toutes les autres. D'autres cadres étaient présents, elle n'y prêta guère d'attention. Seule le visage d'une blonde sur l’un d’entre eux, qui n'apparaissait sur aucune des autres photo capta son regard. Le reste de l'appartement était comme ce qu'elle connaissait. Une table basse, un canapé, une télé au-dessus de laquelle était accrochée une croix. Willow sourit. Sa famille était chrétienne hein? Pas qu'elle les jugeait. Ce devait être bien de compter sur quelque chose de plus grand que soi-même ou que les Hommes.

Elle arrêta ses observations quand elle vit un vieil homme, le même que sur les photos, avec des années en plus, se lever de sa chaise et s’incliner lentement devant elle. Par politesse, la jeune femme fit la même chose. Willow l’observait, prête à l’aider à tout moment. Dès qu’elle avait posé les yeux sur lui, elle en tomba amoureuse. Il n'y avait que gentillesse et une intense joie de vivre qui émanait de cette personne.

"Bienvenue chez les Sutton. Salomao, enchanté, mais tout les petits m'appellent Oji-san.
-Je suis ravie de vous rencontrer Salomao. Je m’appelle Willow Moonbane, vous pouvez m'appeler Willy.”

Elle s’avança pour l’aider en voyant le visage de Salomao se tendre; mais se retient finalement. Par expérience, elle savait que tant que les personnes âgées ne demandait pas d’aide, ils pouvaient se débrouiller. La pitié dans ce cas-là n’était pas forcément bien vue. Willow garda tout de même un oeil vigilant sur lui.

"Mais je vous laisse avec mon petit-neveu, vous prendrez un kakigori j'espère ?"

Un kakigori? Oh! C’était cette fameuse glace japonaise. Maintenant qu’il commençait à faire beau, Alessandro lui en réclamait tout le temps.

“Ce sera avec plaisir!”

Puis, Rihan lui indiqua sa chambre. Elle le suivit en se demandant ce qu’elle pouvait bien foutre ici. Son oncle allait l’air de bien se porter. Et à vue d’oeil, c’était aussi le cas du jeune homme. La demoiselle entra dans la chambre, observant à nouveau son environnement. Immédiatement, sa main la démangeait. Enfin, façon de parler. La rousse avait une furieuse envie de coucher ce qu’elle voyait sur le papier. Cette chambre, avec tous les meubles et objets qui l’habitait, ferait un bon entraînement aux décors. Mais bon. Elle n’était pas venue pour ça.

La jeune femme trouva une place sur le canapé et posa en douceur son sac et son casque à ses pieds. Elle massa son épaule fatiguée par le poids de son bagage.  

“Passons aux choses sérieuses, Rihan.”

Elle plongea ses yeux émeraudes dans les siens. Son expression était sérieuse, professionnelle.

“Qu’est-ce que je fous ici?”  

Sa question ne trouva pas réponse de suite. Elle observa Rihan s’installa dans sa chambre, ouvrir sa fenêtre. De toute manière, elle ne pouvait rien faire d’autre, à part que de se répéter. Mais ça, elle n’en avait pas besoin. Rihan finirait par lui dire le pourquoi du comment à un moment donné. De préférence avant qu’elle ne perde patience et finisse par rejoindre son frangin.

Elle fronça les sourcils en le voyant, une cigarette au bec. Pour une fois, elle ne fit pas de commentaire. La rousse était très mal placée pour dire quoique ce soit sur le sujet. Le brun devait déjà bien savoir au danger qu’il s’exposait avec cette sale habitude. Rien qu’avec la télé et les campagnes contre les drogues à l’école, les risques n’étaient plus inconnus pour personne. Et puis, chacun avait son poison. Lui, c’était la clope; elle c’était l’alcool.

Enfin, Rihan se retourna vers elle et se posa sur un chaise. Immédiatement, il capta toute son attention. Ah. Elle allait enfin savoir pourquoi elle était ici au lieu de glander sur son canapé à regarder des dessins-animés.

“Tu sais sauver quelqu'un d'une balle ?”

Quoi? Elle le regarda et fronça les sourcils, confuse. Elle ne comprenait pas pourquoi il lui demandait ça. Pourquoi elle était encore ici et pas au côté de la personne blessée par un coup de feu. Cependant, elle resta assise sur le sofa. Rihan n’avait pas l’air d’avoir terminé et la jeune femme lui faisait confiance. Il n’avait pas l’air de paniqué, la rousse resterait calme. Willow sentait l’adrénaline monter du bout de ses doigts et circuler dans son corps. Il n’avait fallu que deux secondes pour changer l’ambiance de la pièce, passant du calme à de la tension. Elle ne pouvait pas mentir, elle adorait cette sensation.

“Pourquoi?”

Bien sûr qu’elle savait. C’était les blessures qu’elle voyait le plus passer dans son cabinet. ça et les blessures par armes blanches. Malheureusement, soigner ces premières étaient une autre paire de manche. Le talent et l’expérience comptaient, pour sûr. Cependant, on ne pouvait ignorer la part de chance qui était bien trop grande. Il y avait trop de facteurs qui jouaient. Comme le temps. La zone touchée. La condition physique du patient.

“Simple précaution.”

Le gamin s’était rapproché d’elle. Ses réponses évasives la tuait; son coeur battait fort. Qu’est-ce qu’il avait en tête? Avant que la femme ne lui dise d’être un chouïa plus précis, elle sentit sa main sur son épaule. L’instant d’après, ils se regardaient droits dans les yeux. Le sérieux de son regard finit de l’alerter plus qu’elle ne l’était. Dans quoi s’était-il embarqué?

“C'est très important Willow. J'ai confiance en toi, tu es devenu une des nôtres depuis maintenant un moment. Je refuse que ce soit qui que ce soit d'autres qui m'accompagne là dedans.”

La confiance qu’il plaçait en elle lui réchauffa le coeur. C’était réciproque. Depuis qu’elle les avait rejoint, Rihan avait gagné sa confiance et son respect. Comme les autres, elle pouvait lui confier sa vie et elle savait qu’il en prendrait soin. Et maintenant, le brun lui demandait la même chose. La jeune femme tendit son bras et la plaça sur la joue de l’adolescent, comme elle le faisait avec ses frères pour les détendre. Enfin... là, c'était elle qui devait se détendre plutôt.

“Tu peux me faire confiance. Mais Rihan, fit-elle en déplaçant sa main jusqu’au bras de celui-ci, je dois te prévenir. Soigner une blessure par balle, c’est compliqué et les taux de réussite ne sont pas toujours ceux qu’on espère.”

Elle fit une pause, se remémorant un instant les patients qu’elle avait perdu. Les visages et les noms étaient flous. Et heureusement pour sa santé mentale. Si elle devait garder en mémoire tous ceux qu’elle n’avait pas pu sauvé, elle deviendrait vite folle.

“Dis-moi, qu’est-ce qu’il se passe?”

Etant donnée la situation et la tension montant de minutes en minutes, le brun était bien calme. Trop détendu. Et c’est son attitude qui l’empêchait de paniquer. Ordinairement, elle ne serait pas stressée. Si ça avait été quelqu’un d’autre, quelqu’un qui lui était inconnu, ce sentiment d’angoisse aurait été inexistant. Elle aurait juste fait son taffe, sans poser de questions. Cependant il s’agissait de Sutton et parce qu’elle s’était attachée au garçon, elle pouvait juste pas être préoccupée.

Un ange passa. La jeune femme se perdit dans ses pensées pendant que Rihan restait silencieux et semblait observer quelque chose derrière elle. Willow n’arrivait pas à deviner ce qu’il attendait d’elle et s’était le plus stressant. Le sauver, pour sûr. Mais de qui? De quoi? Pourquoi ne voulait-il que son aide? Pourquoi le reste du groupe n’était pas là si c’était important? Willow était habituée à le voir entouré. Là, y avait personne à part elle.

La jeune femme se reconnecta au moment présent lorsqu’elle le sentit prendre sa main. Elle le fixa y mettre un pistolet. Willow secoua la tête quand il le ramena vers elle.

“Tu vas me tirer dessus.”

Non. Non non non. La réponse était non. Elle observa le flingue, comme hypnotisée par ce dernier. Ces choses faisaient tellement de mal autour d’eux.

“Pile entre les deux yeux.”

Elle se laissa retomber sur le dossier du canapé, abasourdie. Totalement avachie, elle observa sans bouger l’adolescent s’activer. Il ne pouvait lui demander ça. C’était de la folie. Pure et dure. Willow ne pourrait pas le sauver d’une telle blessure. C’était impossible. Les probabilités qu’il se sorte étaient beaucoup trop basses. Elle voyait déjà son corps retomber lourdement, sans vie, sur le sol. Et elle ne pourrait rien faire. Pourquoi est-ce qu’il lui faisait une telle demande?

“Fais moi confiance. Je ne mourrai pas.”

Willow regarda le pistolet. Il pesait lourd entre ses doigts. Ça faisait un bail qu’elle n’avait pas eu d’armes à feu entre les mains. Enfin… un an. Depuis qu’elle s’était installée au Japon. Ici, elle ne sentait pas d’obligation à en avoir un. En revanche, en Italie, c’était une autre paire de manche. Là-bas, la vie était plus compliquée; en partie à cause de son entourage (sans compter son job). Toute sa famille était dans la mafia italienne. Sa mère, son frère, son petit-ami. Ne pas en avoir à portée de main aurait fait d’elle une cible trop facile à abattre.

“La balle dedans est spéciale.”

Elle voulut prendre la parole, lui demander ce qu’il voulait pas là. Il continua avant qu’elle ne puisse avoir la chance de parler.

“Tu vas voir quelque chose de peu commun. Si j'ai raison.”

Toujours aussi interloquée, confuse, choquée, et autres synonymes exprimant l’incompréhension, elle le dévisagea, assit tranquillement sur son lit, les yeux fermés, confiant. Avait-il perdu la raison? Devenu complètement fou? Son attitude posée lui souffla que non. Quelque chose de peu commun? S’il avait raison? Elle aurait aimé qu’il lui en dise un peu plus. Elle n’aurait pas craché contre des détails. Mais voilà, c’était Rihan qu’elle avait en face d’elle, et il parlait peu. S’expliquait peu. Elle n'insistera pas. Willow soupira et se redressa. Joua quelques secondes avec l’arme. La plupart du temps, le gamin savait ce qu’il faisait; Willow espérait que tout ça, toute cette situation n’échappait pas à la règle. S’il crevait, Willow ne s’en remettrait pas. Ou peut-être que si. Avec beaucoup d’alcool. Quoique, elle n’aurait peut-être pas le temps; le gang lui ferait la peau avant. Elle pourrait toujours s’en sortir à coups de mensonges.

“J’espère vraiment que tu sais c’que tu fais.”

Willow observa encore le flingue qu’elle avait dans la main. Son job, c’était pas de tirer avec, mais plutôt de sauver d’eux et de leurs désastreuses conséquences. Elle soupira encore une fois et déverrouilla la sécurité. La jeune femme se leva du canapé et se mit en position de tir, visant là où il lui avait indiqué.

“T’as pas intérêt à clamser. ”

Elle ne termina pas sa phrase. Des menaces ne rimeraient à rien et elle n’était pas d’humeur à faire un trait d’humour. Damn, elle voulait passer la journée à s’amuser. Pas à stresser pour cet idiot. La chirurgienne tira.

La balle fila dans l’air et le gamin s’écroula dans son lit. Une vague de culpabilité mêlée à une bonne dose -beaucoup trop haute- de stresse l'envahit. Elle pouvait sentir son sang battre contre ses tempes, son pouls dangereusement s'accélérer. Elle avait envie de foncer voir sa dépouille son corps, voir s'il était encore vivant. Dans ces moments là, elle savait, seul le temps comptait. Tu vas voir quelque chose de peu commun. Les mots de Rihan lui revinrent en tête, la calmant presque immédiatement. C'était pas possible, elle lui faisait trop confiance. Et pourtant, ce sont les même mots qui tempéraient son envie urgente de checker son état. Ça, et le fait qu'elle n'avait pas vu de sang quand il était tombé.

La jeune femme se rassit, l'arme de plus en plus lourde dans ses mains à chaque seconde qui passait. Elle finit par le poser à côté d'elle. Elle vérifia, anxieusement, la montre mise à son poignet gauche. Si au bout d’une minute le gamin ne montre aucun signe de vie, elle agirait, en espèrant qu’il ne soit pas trop tard. Cinq. Dix. Trente. Une minute passa.

Willow se leva, prête à agir. C’est à ce moment qu’elle vit une étrange flamme violette se formant sur le front de l’adolescent. Puis ses vêtements explosèrent.

"Que...?”

What the fudge. Rihan était face à elle. Ils se fixèrent quelques secondes. Lui, l’air totalement décidé; elle, complètement perdue.

“Rihan?”

Elle l’observa se ruer vers son ordinateur, l’ignorant totalement. Elle l’observa tourner des vidéos, à une vitesse phénoménale. Elle le quitta des yeux pour zieuter vers l’arme. Il ne lui avait pas mentit. C’était dingue. Y avait quoi dans cette balle? Une drogue dont elle n’était pas au courant? Incroyable. La jeune femme soupira en se laissant tomber sur le canap’, jetant des coups d’oeil de temps à autre vers le gamin. La pression ressentie était retombée. Enfin. Il avait l’air d’aller bien. Elle s’occupera des effets secondaires de ce qu’elle supposait être une drogue quand cet état d’excitation serait terminé. Souriante, rassurée, elle sortit son cellulaire de sa poche et envoya un rapide message à son frangin, s’assurant que l’enfant ne s'ennuyait pas trop. Enfin, le connaissant, il était sûrement devant la télé.

Un petit bruit provenant de devant elle lui fit lever les yeux. Willow rangea son téléphone. Elle n’entendit plus bouger l’adolescent, plus taper sur son clavier. Pour la deuxième fois dans la même heure, Sutton s’était à nouveau écroulé. Elle se leva et se dirigea rapidement vers lui. L’adolescent était endormi, le visage paisible. Elle vérifia son pouls; il était constant et normal. Il y avait aucune trace de balle. Cet idiot allait bien.

La jeune femme quitta la chambre de l’adolescent en fermant la porte, pour lui laisser le temps nécessaire pour se reposer, et s’aventura dans l’appartement. Elle tomba sur Salomao, dans le salon.

“Salomao.”

Souriante, elle s’assit en face du vieil homme.  

“Rihan s’est endormi, ça ne vous dérange pas si je reste jusqu’à ce qu’il se réveille?”

Elle avait des tonnes de question à lui poser.

 
“Mais noon ! Ça lui arrive souvent de s'endormir sans qu'on sache quand ! Je me demande même s'il n'est pas un peu narcoleptique sur les bords haha !”

La question était légitime. La jeune femme se posait parfois la même question au sujet de l’adolescent. Comment fait-il pour dormir autant? Pourquoi dormait-il autant? Médecin, elle aurait probablement dû avoir la réponse. Cependant, cela ne rentrait pas tellement dans ce qu’elle avait l’habitude de voir. Elle, ce qu’elle connaissait, ce qu’elle maîtrisait, c’était un peu plus sanglant que ça.

La chirurgienne se laissa tranquillement guider par le vieil homme, sourire bienveillant toujours fixé sur son visage. Elle s’installa confortablement dans le canapé du salon et sortit son téléphone de sa poche. Elle avait sûrement du temps à tuer avant que l’adolescent ne se réveille. Elle scrolla rapidement dans ses messages voir si elle n’avait rien manqué, ou si quelqu’un l’avait contacté pour une urgence. Rien. Ses mails étaient à jour, sa messagerie était vide. C’était une bonne chose.

Elle leva les yeux de l’écran en entendant Salomao s’approcher d’elle, kakigori en main. Elle sourit en recevant une cuillère et la glace. Celle-ci était joliment décorée par ce qu’elle devinait être des pommes en forme de cube et un coulis couleur bronze.

“Bon appétit Miss Moonbane !
-Merci beaucoup. Vous n’en prenez pas?”

Willow n’attendit pas longtemps avant de goûter à la glace. Elle commença par un endroit où il y avait beaucoup de coulis. Celui-ci fondait en bouche. Caramel beurre salé. Elle hocha doucement la tête, savourant la douceur gelée. Le mélange caramel et pomme était mortel. Tandis qu’elle mangeait, son regard dériva une fois de plus vers le portrait familial puis vers le cadre où était placée une photo de la mystérieuse inconnue blonde. Délaissant son téléphone sur le canapé, Willow se leva et lentement, se dirigea vers le portrait. Glace en main, elle se tourna vers Salomao.

“Je peux vous poser une question?”

Elle prit une nouvelle bouchée du kakigori, réfléchissant encore à sa question, et si elle n’était pas indiscrète. En soi, la réponse ne lui apporterait pas grand-chose. Mais le fait est qu’elle s’ennuyait et qu’une conversation, c’était une bonne façon de passer le temps.

“Qui est-elle?”

 

Willow éclata de rire en écoutant l’histoire de Salomao, si bien qu’elle s'étouffa avec la glace. Elle posa le bol sur l’étagère à côté d’elle et toussa, tout en rigolant. Ouais, non, c’était pas un bon mélange. Elle toussa continuellement pendant quelques longues secondes, tapotant sur sa poitrine. Enfin, elle reprit sa respiration. Le kakigori retrouva sa place dans ses mains. La jeune femme continua de la déguster.

“C’est pas possible, fit-elle en souriant”

Les deux brochettes de poulpes l’avaient eu. C’était tellement incongru comme détail. Elle s’imagina une scène de combat sensationnelle pleine de tension, avec pour personnage principal, une motarde coriace. Puis là, bam, t’as son mec qui est sauf et il sort des…. putins de brochettes de poulpes de nul part. Elle pouffa. Ça lui rappelait Kill Bill. Films qu’elle adorait et qu’elle ne pouvait pas prendre au sérieux.

Bon. Elle était un peu impatiente que le lycéen se réveille. Ça ne faisait pas longtemps qu’il s’était effondré mais… Ouais. Elle voulait des réponses sur ce qu’il s’était passé. Mais surtout, elle était intriguée par l’effet de la balle. La chirurgienne n’avait jamais encore parlé d’une telle drogue. Après, ce n’était pas tellement son domaine, mais elle se tenait informée. On lui avait déjà amené des patients en overdose.  Et elle ne disait pas non à de nouvelles connaissances.

Elle revint sur le canapé et s’assit dessus. Puis, elle prit son téléphone. Willow sourit. Alessandro se montrait aussi impatient qu’elle. Le gamin lui avait envoyé une tonne de message. Il s’ennuyait devant la télé et mangeait probablement n’importe quoi. Elle était plus que certaine qu’en rentrant, les paquets de marshmallows seraient vides. Elle avait beau les cacher, le gamin les trouvaient toujours. Pour couronner le tout, il n’y a pas longtemps, elle avait surpris Oscar en train de lui apprendre à crocheter les serrures. Plus aucun paquet de bonbons n'était en sécurité.

La jeune femme rangea son cellulaire et se leva. Elle sourit au vieil homme.

“Je vais voir s’il est réveillé. Merci encore pour le kakigori.”

Willow avait toujours la glace en mains d’ailleurs. Elle était presque finie. Bref. Elle alla dans la chambre de Rihan. Avant d’entrer, elle toqua. Aucune réponse. Elle entra.

“Sutton? T’es réveillé?”

Le silence l’accueillit. Rien n’avait changé, l’adolescent était toujours endormi. Oh. Elle avait zappé de le couvrir. La chambre n’était pas froide mais bon. Elle se rattrapa en prenant un des pulls, sur son lit, qu’elle mit simplement sur ses épaules. Elle en profita pour voir s’il était toujours vivant. Puis, elle le secoua légèrement.

“Oi! Rihan!”

Elle lui tira une joue.